
Pied de grue au Capitole
Le correspondant à l'étranger
qui couvre les élections présidentielles américaines
a un problème d'identité
par Renée Larochelle
Un journaliste qui couvre les élections présidentielles
aux États-Unis et qui a le malheur de ne pas être
américain a autant de chances d'obtenir une entrevue avec
un homme politique important qu'un chameau de passer dans le
chas d'une aiguille. Qu'ils servent ou non leurs intérêts,
les politiciens américains accordent en effet la priorité
aux journalistes américains, affichant l'indifférence
la plus complète face aux correspondants à l'étranger.
C'est ce qu'a révélé Jean-François
Lisée, correspondant à Washington dans les années
1980 pour La Presse et L'Actualité, lors
d'une table ronde sur les médias et les élections
présidentielles américaines organisée le
6 octobre par l'Institut québécois des hautes études
internationales. "Les politiciens américains n'ont
pas une seconde à perdre avec un correspondant à
l'étranger", a affirmé l'ex-conseiller des
premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. "En
fait, les Américains sont passés maîtres
dans l'art de se ficher du reste du monde." Alors qu'il
se trouvait en Alabama lors des élections primaires, Jean-François
Lisée se souvient encore de la poignée de main
relâchée d'un sénateur lorsque ce dernier
s'est rendu compte qu'il avait affaire à un journaliste
étranger, bref qu'il y avait en quelque sorte erreur sur
la personne, après qu'il eut jeté un coup d'il
à sa carte de presse. "Quand on leur demande d'expliquer
la situation, les conseillers qui gravitent autour des politiciens
répondent qu'ils doivent d'abord s'occuper de leurs propres
gens, affirme Jean-François Lisée, qui en a conclu
que le salut résidait dans le camouflage. "Si c'était
à refaire, dit-il, je me ferais passer pour un journaliste
américain."
Sortir de Washington
Correspondante à Washington pour Radio-Canada de 1994
à 1998, Julie Miville-Deschênes dit avoir reçu
une véritable leçon d'humilité chez nos
voisins du Sud. En quatre ans, elle n'a pas réussi à
serrer la main de Bill Clinton une seule fois. "Il est clair
que les gens au pouvoir là-bas n'ont pas de temps à
nous accorder. Dans ce contexte, les journalistes ont deux choix:
faire du stand up devant la Maison Blanche ou encore sortir
des sentiers battus de Washington pour aller sur le terrain s'entretenir
avec l'Américain moyen." S'ils y sont moins nombreux
que dans la capitale, les politiciens vivent en même temps
moins de pression et sont donc plus faciles à approcher,
fait valoir Julie Miville-Deschênes, qui a décidé
de faire tourner la situation à son avantage en variant
les angles et les points de vue. "Plus on sort de topos
et moins on a le temps de sortir de Washington, et donc de réaliser
des reportages intéressants."
De son côté, Jean-Sébastien Rioux, professeur
au Département de science politique, a souligné
l'uniformité de la couverture médiatique aux États-Unis,
qui fait que de Portland à Los Angeles, les gens entendent
les mêmes nouvelles. "En dehors du fameux axe formé
par New York, Boston et Los Angeles, on ne reçoit pas
grand chose, considère le politologue, qui a vécu
une dizaine d'années aux États-Unis. On a malheureusement
tendance à oublier que c'est l'Amérique profonde,
soit la portion des États-Unis située entre cet
axe, aussi appelée Fly Over Country, qui va voter
pour Bush le 2 novembre."
 |
|