
Les chercheurs
qui venaient du froid
Le navire de recherche océanographique
Amundsen rentre à Québec après une première
mission de 13 mois dans l'Arctique
par Jean Hamann
Après avoir mouillé dans les eaux arctiques
pendant treize mois, le brise-glace scientifique Amundsen est
rentré au port de Québec le 8 octobre au terme
de sa première mission. Les données que les chercheurs
en rapportent laissent présager que l'océan Arctique
va connaître des bouleversements encore plus rapides que
prévu, si le réchauffement climatique se poursuit
au rythme actuel.
Selon Louis Fortier, grand responsable du projet CASES (Canadian
Arctic Shelf Exchange Study), directeur de Québec-Océan
et professeur au Département de biologie, le Passage du
Nord-Ouest pourrait être libre de glace pendant les mois
d'été dès 2030. "Si l'ouverture se
maintient pendant deux ou trois mois, les lignes de transport
maritime intercontinental vont l'utiliser, c'est certain",
prédit-il. Cette éventualité sourit aux
armateurs qui verraient ainsi le trajet entre l'Europe et l'Asie
via le canal de Panama amputé de 11 000 km. Pour les bateaux
à fort tonnage, qui doivent contourner l'Amérique
du Sud par le cap Horn, le raccourci arctique retrancherait 19
000 km au trajet. "De plus, les ressources halieutiques
et les immenses réserves de carburant fossile du bassin
arctique vont devenir exploitables, ce qui offrira à la
fois des défis environnementaux et des opportunités
économiques exceptionnelles aux habitants du Nord et aux
Canadiens en général", analyse Louis Fortier.
Cet eldorado polaire risque d'entraîner une ruée
vers le Nord et le spectre d'un déversement de pétrole
à la Exxon Valdez surgit aussitôt à l'esprit.
"Les impacts d'un déversement se feraient sentir
pendant une plus longue période dans l'écosystème
arctique, craint le professeur Fortier. En plus, les technologies
de nettoyage ne sont pas adaptées à de telles conditions."
Mais, selon le chercheur, il y a encore plus inquiétant.
"La circulation maritime est la principale cause d'introduction
d'espèces exotiques dans les écosystèmes
marins, rappelle-t-il. Je crains notamment l'introduction de
dinoflagellés toxiques qui contamineraient les mollusques
ainsi que les animaux et les populations qui se nourrissent de
ces mollusques. Le risque est d'autant plus grand que la toxicité
de certaines espèces de dinoflagellés augmente
à basse température."
La disparition progressive de la banquise, qui accompagne
le réchauffement climatique, fera également sentir
ses effets sur cet écosystème et sur les espèces
animales qui en dépendent. "On pense, entre autres,
au phoque annelé qui utilise la banquise pour mettre bas
et pour élever ses petits, signale Louis Fortier. On pense
aussi à l'ours polaire qui se nourrit de ces phoques et
qui vit sur la banquise pendant une bonne partie de l'année.
La glace doit avoir une épaisseur minimale pour supporter
le poids de ces gros mammifères."
Bilan de santé
Les six dernières semaines de la mission de l'Amundsen
ont permis à une équipe de 70 personnes de réaliser
une enquête d'une ampleur sans précédent
sur la santé des Inuits du Nunavik. Le bateau a visité
les 14 villages du Québec septentrional et pas moins de
1061 hommes et femmes inuits, âgés de 15 à
83 ans, ont accepté de se rendre à son bord pour
y subir une batterie de tests médicaux. "Chaque personne
passait de trois à cinq heures sur le bateau et l'équipe
de recherche travaillait 14 heures par jour", signale le
coordonnateur de cette vaste opération, Éric Dewailly,
de la Faculté de médecine.
Baptisée "Qanuippitaa?" - Comment allons-nous?
en inuktitut -, cette enquête constitue la première
phase d'une étude internationale sur la santé des
populations inuites. "Tous les pays qui entourent la calotte
polaire effectueront des enquêtes similaires et, au total,
10 000 Inuits seront examinés, précise le chercheur.
L'étude, qui sera répétée tous les
sept ans, apportera des précisions sur les impacts des
changements dans les habitudes alimentaires et des changements
environnementaux sur les maladies cardiovasculaires, le cancer
et le diabète chez les populations inuites du monde entier."
Les résultats préliminaires de l'enquête
menée au Nunavik seront communiqués en primeur
aux Inuits le printemps prochain. Le rapport final suivra en
2006.
Avec plus de 200 scientifiques d'une dizaine de pays ayant participé
aux travaux menés à bord, l'expédition du
brise-glace représente aussi une énorme prouesse
logistique
Louis Fortier n'hésite pas à qualifier la première
mission de l'Amundsen de "succès logistique phénoménal".
Plus de 200 chercheurs d'une dizaine de pays participent aux
travaux menés à bord de l'Amundsen, ce qui exige
une gymnastique complexe pour planifier les arrivées et
départs des personnes au fil de l'itinéraire du
bateau, le transport de l'équipement scientifique, le
ravitaillement et, tout bonnement, le logement et les repas quotidiens
de chacun.
Côté science, une rencontre internationale aura
lieu à Montréal à la fin octobre pour dresser
un premier bilan des données rapportées par les
différentes équipes qui ont participé à
cette grande aventure scientifique. L'Amundsen reprendra la mer
pour sa seconde mission à compter de juillet 2005.
|