Un demi-siècle de science politique
Les professeurs de Laval ont rayonné
au Canada et dans le monde francophone
par Pascale Guéricolas
Jeudi dernier, l'heure était à la nostalgie
au Théâtre de la Cité universitaire, alors
que trois professeurs ayant oeuvré pendant plusieurs décennies
au Département de science politique Vincent Lemieux,
Louis Balthazar et Louise Quesnel - évoquaient leurs souvenirs
à l'occasion du colloque organisé pour souligner
les cinquante ans d'enseignement de ce champ d'études
à l'Université Laval. Sur le thème "Penser
le politique au 21ème siècle, l'événement
a donné également l'occasion d'entendre des personnalités
publiques comme le ministre fédéral Stéphane
Dion et le journaliste Jean-François Lépine débattre
des rapports entre politiciens et médias, ou encore de
hauts fonctionnaires réfléchir à la coopération
actuellement en discussion entre les secteurs public et privé,
tandis que des professeurs de science politique de Laval et d'ailleurs
s'interrogeaient sur la formation future dans ce domaine.
Si aujourd'hui la présence d'un département de
science politique au sein d'une Faculté des sciences sociales
coule de source, il en va tout autrement en1954 alors que l'Université
Laval décide de créer un département pour
enseigner cette discipline très mal vue par le gouvernement
duplessiste, sous l'impulsion de Gérard Bergeron. Pour
faire accepter l'idée, ce spécialiste en relations
internationales accolera l'appellation "administrative "
à "Département de science politique".
Bientôt Léon Dion et Maurice Tremblay du Département
de sociologie se joignent à lui. Pendant la première
décennie, les effectifs restent modestes, comme l'a rappelé
Vincent Lemieux, puisque le Département ne compte qu'une
vingtaine d'étudiants en 1960 lorsque le trio des fondateurs
l'engage comme quatrième professeur, lui qui y avait accompli
sa maîtrise.
"What does Quebec want?"
"C'était la fin du régime de Duplessis, cela
faisait trois ans qu'il n'y avait pas eu d'embauche à
la Faculté des sciences sociales, se rappelle Vincent
Lemieux, puis André Gélinas est arrivé en
1962, Claude Morin, qui venait de l'École de service social,
Lionel Ouellet, Albert Legault" Le politologue Kenneth McRoberts,
récipiendaire la semaine dernière d'un doctorat
honoris causa de l'Université Laval et aujourd'hui
principal du Collège Glendon de l'Université York,
a souligné la bonne réputation dont jouit le Département
de science politique dans le Canada anglophone. En effet, il
a longtemps été le département de cette
discipline le mieux connu du Québec grâce au travail
infatigable mené par Léon Dion et Gérard
Bergeron. "Ils se sont fait les interprètes de la
situation au Québec en répondant très souvent
à cette même question: "What does Quebec want"
et en faisant face parfois à l'hostilité de leurs
interlocuteurs", a-t-il rappelé.
De son côté, Jean-François Lépine,
diplômé de 1971, a évoqué "les
relations extraordinaires nouées avec les professeurs
de science politique comme communicateurs", durant les nombreuses
émissions à la télévision et à
la radio auxquelles des gens comme Vincent Lemieux ou Louis Balthazar
ont pu participer. Comme journaliste il a apprécié
de pouvoir disposer des connaissances de ces spécialistes
afin de mieux décrypter le débat politique ou interpréter
des résultats d'élection.
Première professeure embauchée en 1971 en science
politique, Louise Quesnel a raconté pour sa part la difficile
synthèse qu'elle a dû opérer pour concilier
sa vie de mère de trois enfants, d'enseignante et chercheuse,
puis de directrice de département. Très impliquée
dans la recherche sur les municipalités, un domaine où
elle a fait uvre de pionnière au Canada, elle a noué
des relations avec plusieurs autres départements sur le
campus en travaillant sur les affaires urbaines de concert avec
des géographes, des urbanistes, des sociologues. En charge
également des cours de méthodologie, elle a pu
se retrouver au cur des grands débats qui agitaient le
Département sur la place de la théorie ou les débats
entre méthode quantitative et qualitative car elle questionnait
les étudiants sur leurs projets de maîtrise ou de
doctorat.
Louis Balthazar se souvient lui aussi des discussions idéologiques
autour de l'orientation à donner à la science politique,
alors que l'histoire des idées politiques ne constituait
pas le secteur de pointe qu'il est devenu sous la houlette de
Diane Lamoureux et de Guy Laforest. "À mon arrivée,
dans les années soixante, le rapprochement entre idéologie
et relations internationales ne passait pas bien", rappelle
ce spécialiste de la politique américaine. Le Département
a d'ailleurs été longtemps le seul au sein de la
francophonie à dispenser un cours sur la politique étrangère
des États-Unis. C'est aussi aux professeurs de science
politique comme Paul Painchaud , le fondateur du Centre québécois
des relations internationales, qu'on doit la création
de la première revue internationale en français
dans ce domaine. Après plusieurs décennies de travail,
Louis Balthazar se dit heureux de voir aujourd'hui que la jonction
dont il avait rêvé entre relations internationales,
idées politiques et politique étrangère
devient vraiment d'actualité pour pouvoir décrypter
les événements contemporains.
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