Objectif Lune
Laval participe à une étude
de la NASA visant l'installation d'un télescope à
miroir liquide sur notre satellite
par Jean Hamann
En 1991, le professeur Ermanno Borra proposait, dans les pages
de la très sérieuse revue scientifique Astrophysical
Journal, l'installation d'un télescope à miroir
liquide sur la Lune. Cet astrophysicien du Département
de physique, de génie physique et d'optique y faisait
la démonstration qu'un tel instrument présentait
d'énormes avantages pratiques et économiques par
rapport aux télescopes conventionnels et que, libéré
des perturbations créées par l'atmosphère
terrestre, un observatoire lunaire doté d'un tel miroir
pourrait livrer des informations inédites sur l'origine
de l'univers.
Cette idée, à laquelle on aurait facilement pu
accoler les mots "science-fiction" il y a treize ans,
vient d'être retenue parmi les douze projets que le NASA
Institute for Advanced Concepts (NIAC) financera en 2004. Ermanno
Borra fait partie de l'équipe de cinq chercheurs, dirigée
par Roger J. Angel, de l'University of Arizona, qui a proposé
au NIAC la construction d'un télescope à miroir
liquide au pôle Sud de la Lune. "Le professeur Angel
est un des grands astrophysiciens américains actuels,
précise Ermanno Borra. Je l'ai connu lors d'une année
sabbatique en 1981 et il a montré beaucoup d'intérêt
pour mes travaux sur les miroirs liquides. Nous avons gardé
le contact depuis."
Fondé en 1998 pour encourager les projets révolutionnaires
émanant de chercheurs qui ne sont pas à l'emploi
de la NASA, le NIAC a accordé 75 000 $ US pour la phase
1 du projet de miroir liquide. D'une durée de six mois,
cette étape permettra aux chercheurs de démontrer
la faisabilité de leur concept. S'ils y parviennent, ils
pourraient recevoir jusqu'à 400 000 $ sur deux ans pour
poursuivre leurs travaux. Le NIAC appuie des projets imaginatifs
qui pourront, à moyen terme, repousser les frontières
de la science et de la technologie spatiales et être intégrés
aux programmes de la NASA.
Un miroir en bouteilles
Les télescopes à miroir liquide ont ceci de
particulier que leur miroir primaire, celui qui capte et concentre
la précieuse lumière venue du ciel, n'est pas fait
de verre poli, mais bien d'un liquide réfléchissant.
Placé dans une cuvette à laquelle un moteur imprime
un mouvement circulaire constant, le liquide s'étale en
une mince pellicule parfaitement lisse, qui épouse la
forme d'une parabole et qui peut ainsi faire office de miroir
de télescope. Au cours des 20 dernières années,
le professeur Borra a démontré la faisabilité
de cette filière en fabriquant des miroirs de plus en
plus grands. Le dernier en lice, construit en 2003 par l'University
of British Columbia, a un diamètre de 6 mètres,
ce qui en fait le 13e plus grand miroir astronomique au monde.
Celui que les chercheurs projettent d'installer sur la Lune ferait
au moins 20 mètres!
La principale difficulté du projet Lune consiste à
trouver un liquide qui pourra tolérer les conditions de
température extrêmes qui prévalent à
la surface de notre satellite. "La chaleur ne posera pas
de problème parce que l'observatoire sera installé
au pôle Sud, dans un cratère qui n'est jamais exposé
au Soleil, souligne Ermanno Borra. Par contre, il faut trouver
des liquides réfléchissants qui demeurent liquides
à des températures de l'ordre de -100 à
-200 degrés Celsius."
C'est justement le rôle qui a été confié
à l'équipe d'Ermanno Borra par le professeur Angel.
"Nous avons déjà deux pistes de solution",
avance le chercheur. D'une part, la professeure Anna Ritcey,
du Département de chimie, a créé des nanoparticules
qui s'assemblent spontanément à la surface d'un
liquide et qui forment un film réfléchissant. D'autre
part, l'étudiant-chercheur Omar Seddiki a mis au point
une technique pour déposer, par vaporisation sous vide,
du métal à la surface de liquides. "On a fait
de véritables miracles de sorte que je suis confiant pour
la phase 2 du projet", lance le professeur Borra.
Aux yeux de cet astrophysicien, la filière liquide présente
d'énormes avantages sur les miroirs conventionnels pour
un éventuel observatoire lunaire. "Au lieu de transporter
un miroir de verre lourd, dispendieux et complexe, dont l'installation
exigera un "taponnage monstrueux", on pourra transporter
le miroir liquide dans des bouteilles et le récipient
en pièces détachées." De la science-fiction
tout ça? "Il y a 100 ans, la télévision
aussi était de la science-fiction, répond le professeur
Borra. J'ai bon espoir qu'un jour on verra un télescope
à miroir liquide sur la Lune."
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