Les mots d'ailleurs
Le Québec sous la plume de Walt
Whitman, Stefan Zweig, Pierre Loti, Pierre Kropotkine, Albert
Camus, Raymond Aron et 27 autres visiteurs de renom ou oubliés
par Thierry Bissonnette
Mots d'ailleurs est le deuxième tome d'une série
intitulée "Le Québec sous la plume d'écrivains
et de penseurs étrangers", et dont Pays et mensonges
(publié en 1999) formait le premier tome. Dans cette série
publiée par Boréal, le géographe Luc Bureau,
professeur retraité de l'Université Laval, s'est
laissé guider par le hasard afin de colliger les observations
sur notre province par des intellectuels venus d'ailleurs, composant
un tableau pour le moins bigarré, dont les contradictions
démultiplient la perspective sur notre territoire et les
sociétés qui l'ont habité.
"Rien ne ressemble autant au récit de voyage que
la vie elle-même. Ne vit-on pas dans une large mesure pour
raconter ce qu'on fait ou ce qu'on a cru faire?", demande
l'auteur dans son introduction, en évoquant ce "voyageur-écrivain"
que lui semblait être Hérodote. Plutôt que
de rendre compte de ses propres observations de voyage, l'essayiste
Bureau a quant à lui recueilli ses lectures de voyageurs,
espérant découvrir dans leurs regards quelque fragment
du réel qui échappe à l'histoire conventionnelle.
Ses critères pour la sélection de ces textes datés
de 1850 à 1950? La beauté, l'originalité
et la diversité.
Trente-trois auteurs ont ainsi été retenus, en
majorité français et anglo-saxons, bien qu'un Allemand,
un Autrichien, un Russe et un Belge fassent partie d'un peloton.
Pour chacun, Luc Bureau a rédigé une présentation
et une mise en contexte qui cimentent le livre, laissant ensuite
à son "invité" le soin de s'exprimer.
Selon un ordre inverse de celui de l'alphabet, c'est le célèbre
Stefan Zweig qui ouvre ce bal diversifié, avec une lettre
de 1911 où il s'émerveille de la clarté
de la neige et se dit étonné par la ténacité
du peuple canadien-français, qui lui semble toucher au
tragique. Puis Walt Whitman évoque sa "Balade au
Canada" à travers quelques notes de voyage posthumes,
suivi par des figures aussi différentes que le géographe
et rebelle Élisée Reclus, l'écrivain Pierre
Loti, l'anarchiste Pierre Kropotkine ou encore les Albert Camus,
John Burroughs, Raymond Aron, etc.
Outre quelques tableaux de la Vieille Capitale et de la Métropole,
d'autres textes témoignent de randonnées au Saguenay,
à Saint-Jean-sur-Richelieu, et - dans des circonstances
qu'on devine moins touristiques - à Grosse-Île.
Plus cocasse est la description de l'Université Laval
par J. E. Vignes, qui prétend, en 1909, qu'un seul de
ses 112 professeurs posséderait un diplôme authentique.
Quant à André Chevrillon, l'institution lui paraît
bien austère: "L'Université Laval, à
deux pas de l'archevêché, n'a rien du confort et
du luxe de celles d'Angleterre et des États-Unis. Point
de ces jardins et pelouses où des étudiants, en
vêtements de flanelle, se balancent après le tennis,
un livre ou une cigarette à la main, dans des rocking-chairs."
Le Séminaire permet par contre au Français de respirer
l'âme de son propre XVIIe siècle, alors que les
citadins lui montrent le spectacle d'une appartenance divisée
entre la France et l'Angleterre.
Tout comme l'a fait Luc Bureau, le lecteur peut désormais
s'aventurer parmi ces consciences singulières, lesquelles
génèrent certainement leur petit sottisier, mais
également un bel ensemble de contemplations lyriques et
de lucides observations.
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