Les prématurés:
trop souvent des souffre-douleur
Les prématurés sont surreprésentés parmi les enfants victimes d'intimidation verbale de la part de leurs camarades
par Jean Hamann
Les grands prématurés ne l'ont pas facile. Ils
voient le jour avant la 30e semaine de grossesse,
ils pèsent à peine 1 kilo à la naissance
et ils doivent se battre pendant des semaines dans une couveuse
d'hôpital pour rester vivants. Ceux qui s'en sortent ne
sont pas au bout de leurs peines pour autant car la prématurité
leur colle à la peau pendant toute l'enfance, les accablant
de divers problèmes de santé et même de problèmes
d'intégration sociale. Les chercheurs Line Nadeau, Réjean
Tessier, Francine Lefebvre et Philippe Robaey, du Centre interdisciplinaire
de recherche en réadaptation et intégration sociale
(CIRRIS), viennent d'ajouter un autre problème à
cette liste déjà aussi longue que triste: les grands
prématurés seraient deux fois plus souvent la cible
d'intimidation verbale de la part de leurs "camarades"
de classe de première année du primaire que les
enfants nés à terme.
Dans un récent numéro de la revue scientifique
Developmental Medicine and Child Neurology, les chercheurs
du CIRRIS rapportent les conclusions de l'étude qu'ils
ont menée auprès de 96 grands prématurés
âgés de 7 ans et des autres enfants qui les côtoyaient
à l'école. Les élèves des classes
fréquentées par les prématurés ont
été photographiés individuellement et, à
l'aide de ces photos, chaque enfant devait identifier ceux qui
préfèrent jouer seuls, qui pleurent facilement,
qui sont timides, qui se bataillent souvent, qui disent ou qui
se font dire des choses méchantes, etc., en vue d'établir
un score d'intimidation verbale et d'intimidation physique pour
chaque prématuré. Pour fins de comparaisons, les
chercheurs ont répété le même exercice
pour 63 enfants nés à terme qui présentaient
un profil social et familial similaire aux prématurés
de l'étude. Cet exercice a nécessité 2308
entrevues dans 159 écoles.
Les chercheurs ont ainsi établi que les enfants nés
prématurément, qu'ils soient garçons ou
filles, obtiennent un score d'intimidation verbale plus élevé
que les enfants nés à terme, et ce même en
tenant compte du poids et de la taille inférieures des
prématurés. Lorsque les chercheurs excluent les
prématurés qui présentent un handicap physique
apparent de leurs analyses, ils arrivent aux mêmes conclusions.
"Si les prématurés sont l'objet d'intimidation
verbale, ce n'est pas en raison de leur taille ou d'un handicap
apparent. C'est dû à d'autres facteurs", analyse
Line Nadeau.
Bien que l'étude ne visait pas à déterminer
pourquoi les prématurés sont les souffre-douleur
de leurs compagnons, les hypothèses ne manquent pas et
l'une d'elles vise directement le milieu familial: surprotégés
par leurs parents, les prématurés n'apprendraient
pas à interagir normalement avec les autres enfants, ce
qui les conduirait au retrait social et au rejet par les pairs.
"Plus on avance dans nos travaux, plus on pense que ce facteur
peut avoir de l'importance, reconnaît Line Nadeau. Lorsque
l'enfant en fait moins, le parent en fait plus et l'enfant devient
plus passif. Dans des études de résolution de problèmes,
les grands prématurés semblent moins capables de
proposer des stratégies de rechange lors de mises en situation."
La vie à l'école peut donc s'avérer éprouvante
pour les prématurés. "Comme la plupart n'ont
pas de déficiences motrices, intellectuelles ou sensorielles
visibles, ils ne profitent pas du soutien supplémentaire
accordé aux enfants qui ont un handicap apparent, constate
la chercheure. C'est pourquoi les parents devraient informer
le professeur dès le début de l'année scolaire
que leur enfant est né prématurément. Par
ailleurs, les écoles devraient faire un effort pour identifier
les enfants qui présentent des facteurs de risques pour
l'intimidation. Environ 10 % des enfants du primaire font l'objet
d'intimidation et le problème est deux fois plus courant
chez les prématurés, un groupe d'enfants déjà
vulnérables".
|
|