Fines gueules!
Les aversions alimentaires seraient d'abord
apparues chez les reptiles
par Jean Hamann
Les huîtres vous roulent dans la bouche depuis que vous
les soupçonnez d'être la cause de votre dernière
indigestion? L'odeur du fromage bleu vous chamboule l'estomac
depuis la gastro qui a suivi votre dernier vin et fromage? Blâmez
vos ancêtres les reptiles puisqu'il semble que ce sont
eux qui ont "inventé" l'aversion alimentaire
et qui vous en ont fait cadeau en héritage, soutiennent
Sébastien Paradis et Michel Cabanac, du Département
d'anatomie et de physiologie de la Faculté de médecine.
Tout comme les autres comportements, la capacité d'apprendre
à éviter un nouvel aliment qui rend viscéralement
malade - la nausée ou la diarrhée en sont les symptômes
cruels trop bien connus - est forcément apparue quelque
part au cours de l'évolution, raisonnent les deux chercheurs.
Des études ont déjà rapporté l'existence
d'aversions alimentaires chez les rats, les coyotes, les chevaux,
les chauves-souris, les furets, les cailles, les éperviers
et chez la couleuvre rayée. Par contre, personne ne semble
avoir examiné la question en profondeur chez les autres
reptiles, ni chez les poissons et les amphibiens, soulignent-ils
dans un article récemment publié dans la revue
scientifique Behavioural Processes.
Pour combler ce vide, Sébastien Paradis et Michel Cabanac
ont convié à un repas inédit des reptiles
- deux espèces d'iguanes et deux espèces de scinques
(des lézards à queue courte) - et des amphibiens
- une espèce de crapaud et une espèce de salamandre-.
Les chercheurs ont servi un plat inhabituel à chaque espèce
- le menu allait du ver de terre au filet de turbot - et, 30
minutes après la fin du repas, ils ont injecté
à certains de leurs convives du chlorure de lithium, une
substance toxique qui rend l'animal malade.
Une semaine plus tard, les chercheurs ont resservi le même
plat à leurs sujets. Résultats? Les amphibiens,
qu'ils aient été rendus malades ou pas la semaine
précédente, ont avalé avec un égal
appétit la nourriture servie lors des deux repas, tout
comme les reptiles du groupe témoin. Par contre, les reptiles
qui avaient été rendus malades ont boudé
leur assiette, consommant moins de 3 % de la nourriture qu'ils
avaient ingérée lors du premier repas. Il leur
a fallu entre 35 et 45 jours avant de recommencer à consommer
l'aliment qu'ils associaient à leurs malaises. Pendant
cette période, ils ont d'ailleurs ignoré tous les
nouveaux aliments qui leur étaient proposés, alors
qu'ils avalaient avec bon appétit leur traditionnel repas
de criquets. "Il s'agit là d'une manifestation de
néophobie chez les reptiles", commente Michel Cabanac.
La mémoire de l'estomac
Du point de vue évolutif, ces résultats indiquent
que l'aversion alimentaire serait d'abord apparue chez les reptiles
et qu'elle aurait été transmise aux espèces
qui en sont issues. "Nos résultats signifient aussi
que les reptiles ont une conscience alors que les amphibiens
n'en ont pas, ajoute Michel Cabanac. Nous sommes arrivés
au même constat après avoir étudié
l'apparition des émotions chez ces deux groupes d'animaux."
La capacité de reconnaître et d'éviter des
aliments qui rendent malades serait donc un mécanisme
très ancien, puisqu'il est apparu avec les reptiles, et
très utile au plan évolutif puisqu'il permet à
un animal de réduire ses probabilités de mourir
d'une intoxication alimentaire.
Le professeur Cabanac précise cependant que, chez l'humain,
il faut établir une distinction entre l'aversion alimentaire
induite par des aliments qui causent des troubles digestifs et
celle qui résulte de caprices. "Il est normal que
le premier contact avec un nouvel aliment soit marqué
par le rejet, mais on peut apprendre à un enfant à
manger n'importe quel aliment qui ne rend pas malade, affirme-t-il.
C'est une question d'éducation."
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