Le courrier
L'exposé d'un mouton noir
Extraits de l'allocution prononcée par Gérard
Verna, professeur à la Faculté des sciences de
l'administration et récipiendaire du prix Carrière
2004, un des prix d'excellence en enseignement de l'Université
Laval, lors de la remise de ces prix, le 23 septembre.
Monsieur le recteur, Madame la vice-rectrice, chers collègues
et néanmoins amis, chers amis qui ne sont pas des collègues
(j'en ai aussi), je vais faire l'exposé le plus bref et
le plus difficile de ma carrière pour vous remercier tous
et vous dire quelle chance l'Université peut offrir à
plusieurs d'entre nous.
Lors de mes modestes et fort controversés débuts
à la Faculté des sciences de l'administration,
à l'hiver 1987 comme professeur invité, je me suis
immédiatement passionné pour ce travail que je
découvrais et qui me permettait enfin de faire autre chose
que simplement gagner ma vie en faisant partager à d'autres
les différentes expériences professionnelles vécues
dans une vie antérieure. Toutefois, mon profil fort peu
orthodoxe, les choix que j'ai rapidement fait en recherche de
me tenir loin des modes et des groupes et donc aussi des subventions,
la façon je le réalise mieux aujourd'hui
et j'en suis un peu confus souvent très provocatrice
et peu diplomate de tracer mon chemin et aussi d'enseigner m'ont
souvent fait craindre de m'être trompé et de finir
comme TQS en petit mouton noir de la Faculté.
Mais dans une carrière commencée à 45 ans,
on n'a pas le temps de changer de stratégie en route.
J'ai donc continué mais si il y a une chose que je n'aurais
vraiment jamais imaginé, c'était d'être là
aujourd'hui. Je crois y être grâce à beaucoup
d'amitiés partagées: amitié de Jacques Lussier,
hélas absent aujourd'hui, qui m'a convaincu de venir à
Québec et amitiés des membres de mon Département
qui m'ont permis d'y rester; amitié de tous ceux qui ont
cru dans le projet du programme de Gestion internationale et
en ont fait un grand succès; amitié de tous ceux
et celles qui à un moment ou un autre m'ont souri ou tendu
la main et que je n'ai hélas pas pu tous inviter ce soir;
amitié enfin de Marc Bélanger qui, chaque fois
que j'en doutais, m'a convaincu que nous faisions le plus beau
métier du monde.
Car nous faisons vraiment le plus beau métier du monde
mais, hélas, dans une institution de plus en plus mal
en point: pas la notre en particulier, mais l'institution universitaire
en général: trop longtemps immobile dans un monde
en mouvement; trop tournée vers le passé dans un
monde qui ne connaît plus que le futur; habituée
au monopole dans un monde de concurrence; conçue pour
l'élite et devant faire face à des demandes de
formation de masse; symbole de la réflexion et de l'effort
gratuit dans un monde où aujourd'hui tout se paye et doit
se rentabiliser; s'essayant timidement à la flexibilité
alors qu'elle tirait sa force de sa rigidité. L'université
souffre de plus en plus, et bien souvent nous aussi souffrons
avec elle.
Nous entrons donc dans une période de grands changements.
Je crains que certains remèdes ne soient pires que le
mal. Je redoute particulièrement toutes les incitations
à se regrouper, pour agir de façon concertée
et normalisée, ce qui relève davantage d'une logique
d'entreprise que d'une logique universitaire. Car si, dans le
monde robotisé de demain, il ne doit rester qu'un seul
ilôt de liberté de parole et de pensée, il
faut que ce soit l'Université, elle qui sera toujours
d'autant plus forte qu'elle sera diversifiée et constituée
d'hommes et de femmes libres de leurs pensées et responsables
de leurs actes.
Je ne sais combien de mes collègues partagent ce point
de vue mais ils doivent aussi savoir que cette liberté
a un prix que je trouve cependant bien faible par rapport à
l'immense chance qui nous est donnée: participer en première
ligne à la formation de notre jeunesse et lui voler chaque
jour quelques étincelles de joie et d'énergie.
Pour ma part, l'honneur qui m'est fait aujourd'hui ne peut que
renforcer ma conviction et je compte bien continuer à
exercer mes fonctions quelques années encore: il faudra
vous y faire Merci à tous!
Gérard Verna
Professeur au Département de management
|