Sorciers d'aujourd'hui
Les maux du monde font parler le chaman
par Renée Larochelle
"Je suis malade parce que j'ai agi en désaccord
avec mes sentiments ou mes pensées." "Je suis
malade parce que j'ai rompu l'harmonie de mes relations avec
les autres." "Je suis malade parce que j'ai dérogé
à l'équilibre des forces de l'univers." Voilà,
dans son essence, le concept chamanique de la maladie, qui résume
en même temps le chamanisme comme voie spirituelle ayant
guidé l'humanité depuis des millénaires.
Appelé au chevet de l'individu souffrant, le chaman-guérisseur
usera de tous ses pouvoirs afin de rétablir l'ordre et,
du même coup, la santé chez celui qui a osé
transgresser les interdits en vigueur.
"Par exemple, chez les Galibi de Guyane française,
la transgression la plus dangereuse pour une femme est le contact
avec une source d'eau lors des menstruations, a révélé
Jean-Jacques Chalifoux, professeur au Département d'anthropologie
et conférencier au symposium sur le chamanisme qui a eu
lieu récemment à l'Université. De son côté,
l'homme doit éviter de toucher une femme menstruée,
sous peine de vieillir prématurément. Enfin, le
chaman risque lui-même de perdre tous ses pouvoirs s'il
entre en contact avec le sang menstruel."
Des alternatives étrangères
À l'instar d'autres sociétés chamaniques,
les Galibi croient que certaines maladies ne peuvent être
soignées que par le chaman, a indiqué l'anthropologue,
qui s'intéresse à cette population depuis une quinzaine
d'années. "Il s'agit de maladies que le chaman est
le seul à pouvoir interpréter correctement. Ces
maladies résultent en général de trangressions
d'interdits comme le manque de respect envers les esprits chamaniques
ou la fréquentation de lieux jugés dangereux. Les
Galibi reconnaissent également que les changements sociaux
ont transformé la nature de l'institution chamanique et
la légitimité des chamans. Pris en charge par diverses
institutions modernes comme l'État, l'hôpital, l'école,
l'armée et le bien-être social, ils ont aussi accès
à des alternatives étrangères. Pays d'immigration
internationale, la Guyane dispose en effet d'un éventail
complexe de pratiques ethnomédicales: guérisseurs
d'origine brésilienne ou Aluku, dukun javanais, docteurs-feuilles
haïtiens, pasteurs adventistes exorcistes, médecins
occidentaux et chinois. Dans ce contexte, le chamanisme fait
ni plus ni moins partie de la cafétéria des pratiques
médicales."
Une chose est certaine, le pouvoir du médecin s'arrête
parfois là où celui du chaman commence: le chaman
a en effet le pouvoir de restituer l'ordre chez une personne
qui a transgressé des interdits, un pouvoir qu'on ne reconnaît
pas ou si peu - au médecin. Car dans cet espace
sacré que constitue le passage de la mort à la
renaissance, le médecin reste frappé d'interdit.
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