
La dépression dans l'oeil
Un lien existerait entre la sensibilité rétinienne
et la dépression hivernale
par Jean Hamann
Les personnes qui souffrent de dépression hivernale
auraient une sensibilité rétinienne inférieure
à la moyenne des gens bien portants, rapporte une équipe
de chercheurs canadiens dans un récent numéro de
la revue scientifique Psychiatry Research. Marc Hébert,
de la Faculté de médecine de l'Université
Laval, et quatre chercheurs de Colombie-Britannique arrivent
à cette conclusion après avoir étudié
27 personnes souffrant de dépression hivernale et 23 sujets
normaux.
Rappelons que la dépression hivernale frappe de façon
récurrente en automne ou en hiver et elle s'estompe lorsque
revient le printemps. La cause exacte de cette maladie n'est
pas connue, mais comme l'exposition à une source de lumière
en atténue les symptômes, plusieurs hypothèses
lient cet état dépressif saisonnier à la
luminosité ambiante.
Pour faire un peu de lumière sur les causes de la dépression
hivernale et sur le mode d'action de la luminothérapie,
Marc Hébert et ses collègues ont comparé
la sensibilité rétinienne de sujets normaux à
celle de personnes sujettes à la dépression hivernale.
Ces tests ont révélé que les sujets du groupe
"dépression hivernale" ont une sensibilité
rétinienne 9 % plus faible que les sujets du groupe témoin.
"Cette hyposensibilité n'affecte pas leur vision,
précise Marc Hébert. Elle signifie seulement qu'il
faut plus de lumière pour arriver à un même
niveau d'excitation de la rétine."
Le chercheur avait préalablement découvert que
la sensibilité rétinienne demeurait à peu
près constante au fil des mois chez les sujets normaux
alors qu'elle diminue de façon plus importante chez les
personnes victimes de dépression hivernale. "Nous
ne croyons pas que la baisse de sensibilité provoque la
dépression, insiste Marc Hébert. Il semble plutôt
qu'un déséquilibre chimique de deux neurotransmetteurs
du cerveau - la sérotonine et la dopamine -, qu'on retrouve
aussi dans l'oeil, ait un impact à la fois sur l'humeur
et sur la sensibilité de la rétine. En fait, l'hyposensibilité
rétinienne est un reflet de ce qui se passe dans le cerveau."
Une dose d'été
Pour le moment, il n'est pas possible de prédire à
partir d'une simple mesure de sensibilité rétinienne
si une personne est à risque de souffrir de dépression
hivernale. "C'est la différence de sensibilité
entre les valeurs d'été et d'hiver pour chaque
personne qui compte, affirme le chercheur. Une baisse allant
jusqu'à 15 % ne semble pas avoir de conséquences
importantes. Chez les personnes qui souffrent de dépression
saisonnière, cette différence atteint, en moyenne,
entre 20 et 25 %."
L'été dernier, Marc Hébert a entrepris une
nouvelle étude qui lui permettra de suivre l'évolution
de la sensibilité rétinienne chez un groupe de
sujets avant, pendant et après un traitement de luminothérapie.
"Nous pourrons ainsi savoir si ce traitement permet de prévenir
la baisse de sensibilité rétinienne qui survient
en hiver", explique le chercheur.
Le traitement de luminothérapie consiste à se placer
quotidiennement pendant 30 minutes devant une lampe produisant
une lumière d'une intensité comparable à
celle d'une belle journée d'été. Le taux
de succès de cette thérapie contre la dépression
hivernale est de 67 %, une performance équivalente aux
antidépresseurs. "On leur donne une bonne dose d'été
en plein hiver", résume le chercheur.

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