
D'une pierre, deux coups
Des géologues proposent un moyen pour
réduire les émissions de CO2 tout en réglant
le problème des résidus d'amiante
Par Jean Hamann
Georges Beaudoin a une idée à laquelle il croit
dur comme fer. À première vue, le projet du professeur
du Département de géologie et de génie géologique
semble presque trop beau pour être vrai. Il permettrait
de réduire la quantité de CO2 dans l'atmosphère
tout en réglant le cas des résidus miniers qui
déparent le paysage des régions de l'Amiante et
de l'Estrie et qui causent des problèmes de poussières.
La clé du projet: tirer profit de la réaction chimique
naturelle entre le CO2 et le magnésium contenu dans les
résidus d'amiante, pour former une roche appelée
magnésite, dans laquelle le CO2 serait immobilisé
à perpétuité.
Georges Beaudoin décrit la séquestration du carbone
comme la troisième voie pour la réalisation du
Protocole de Kyoto, après la diminution des émissions
de CO2 et la réduction de la consommation d'énergie.
"Ce concept, peu connu du public, devrait faire partie d'une
stratégie globale de réduction des émissions
de gaz à effet de serre", insistait-il d'ailleurs,
en 2003, dans le mémoire qu'il présentait devant
la Commission des transports et de l'environnement du Québec.
Le professeur revient à la charge avec ce projet dans
un article publié dans le dernier numéro de Geoscience
Canada avec ses collègues Réjean Hébert
et Marc Constantin, du Département de géologie
et de génie géologique, Greg Dipple, de l'University
of British Columbia et François Huot, de Géo-conseils
TB.
Filière minérale
Les tenants de la filière "séquestration
du carbone" ont considéré différents
réservoirs naturels pour immobiliser le CO2. La séquestration
du carbone par augmentation de la biomasse terrestre représente
une solution dont les effets sont limités à quelques
décennies, analyse Georges Beaudoin. Par ailleurs, la
séquestration de carbone dans les fonds marins pose certains
problèmes. Les tests de fertilisation des océans
n'ont pas produit les résultats escomptés sur la
fixation de carbone et on craint qu'il n'y ait des répercussions
environnementales insoupçonnées. Reste la filière
minérale. "L'injection de CO2 dans des puits de pétrole
ou de gaz naturel épuisés constitue une avenue
intéressante, mais pas au Québec. Par contre, nous
avons beaucoup de résidus miniers contenant du magnésium",
constate le professeur.
Il y aurait quelque 1,5 milliard de tonnes de résidus
d'amiante qui traînent dans le décor québécois.
"Comme il faut 3 tonnes de résidus pour fixer 1 tonne
de CO2 , on pourrait séquestrer 500 millions de tonnes
de CO2 à l'aide de ces résidus. Ceci équivaut
au total de CO2 que produirait la centrale du Suroît pendant
environ 200 ans", estime le chercheur. De plus, la capacité
de séquestration du carbone dans les roches ultramafiques
(riches en magnésium) du territoire québécois
est plus de 300 fois supérieure à celle des résidus.
La réaction entre le CO2 et le magnésium semble
être catalysée par une bactérie, poursuit
Georges Beaudoin. "Le CO2 produit par une usine pourrait
donc être capté et transporté par pipeline
vers les sites de résidus miniers où il serait
transformé dans des bioréacteurs. Les résidus
d'amiante, qui sont présentement des fibres qui peuvent
être transportées par le vent, deviendraient de
petits grains inoffensifs pour l'environnement et on pourrait
les utiliser pour remplir les anciennes fosses." Enfin,
en marge de cette opération, il serait possible de récupérer
les métaux précieux contenus dans les résidus
d'amiante, notamment le nickel. Ces résidus représentent
un gisement potentiel de nickel dont le volume est cinq fois
plus grand que celui de la mine Raglan, présentement en
exploitation dans le Nord du Québec.
"Cette filière est la seule forme de séquestration
permanente du carbone qui s'offre dans le contexte québécois,
fait valoir Georges Beaudoin. Le Québec dispose d'une
opportunité unique par cette méthode pour séquestrer
du carbone et pour valoriser les parcs à résidus
miniers du Sud du Québec, tout en améliorant grandement
l'économie des régions."
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