Où sont les filles?
Près de 400 meurtres plus tard,
l'enquête piétine à Ciudad Juárez
par Renée Larochelle
Ciudad Juárez, Mexique, 13 mai 2003. Comme tous les
matins, Neyra Azucena Cervantes, 20 ans, quitte la maison pour
se rendre à la boutique où elle travaille comme
vendeuse. Ce sera la dernière fois qu'on la reverra vivante.
Depuis cette date, sa mère, Patricia Cervantes, mène
une lutte quotidienne afin que soient dévoilées
les circonstances véritables de la disparition de sa fille.
"Je ne sais même pas si les os qu'on m'a remis dans
une boîte de carton sont bien les siens", a expliqué
Patricia Cervantes lors d'une conférence organisée
récemment par la Chaire d'étude Claire-Bonenfant
sur la condition des femmes. Agissait à titre d'interprète
Marie-France Labrecque, professeure au Département d'anthropologie,
spécialiste du Mexique et membre de la Commission québécoise
de solidarité avec les femmes de Ciudad Juárez.
À l'instar de Neyra Azucena, environ 370 femmes ont "disparu"
ou ont été assassinées dans les villes voisines
de Ciudad Juárez et Chihuaha, depuis 1993. ge moyen des
victimes dont près de 60 % aurait été violées
ou mutilées: 17 ans. Cette histoire macabre présentent
deux constantes: les cadavres sont toujours découverts
dans des terrains vagues et rien n'est fait pour éclaircir
les assassinats qui finissent par se perdre dans la nuit des
temps. Bref, c'est le règne de l'impunité. "Nous
avons porté plainte et la police nous a dit que l'enquête
suivait son cours, rage Patricia Cervantes. En fait, mon conjoint
et son neveu ont été arrêtés; ils
n'ont évidemment rien à voir avec l'assassinat
de ma fille. Pour calmer les esprits, le gouvernement a besoin
de trouver des coupables." Curieusement, le crâne
troué d'une balle qu'on a remis à Patricia Cervantes
arbore la dentition d'un homme. Les tests d'ADN effectués
par des spécialistes de l'endroit présentent quant
à eux des résultats contradictoires. Trafic d'organes?
Traite des blanches? Toujours est-il que rien n'est fait pour
élucider ces meurtres et ces disparitions. Selon certaines
personnes, la police ferait disparaître les indices. La
population, elle, est plongée dans une sorte de torpeur.
Les autorités savent quelque chose mais continuent à
se taire, estime Patricia Cervantes. À la tête du
mouvement "Justice pour nos filles", elle s'est rendue
dans plusieurs pays d'Europe et aux États-Unis afin de
sensibiliser le public à la cause de ces jeunes filles
qui ont eu le malheur de se trouver à la mauvaise place,
au mauvais moment.
D'hypothèse en hypothèse
À titre de membre de la Commission québécoise
de solidarité avec les femmes de Ciudad Juárez,
Marie-France Labrecque souhaite sensibiliser la population québécoise
à cette cause. Elle s'est donc rendue dans cette ville
où les usines de montage pour produits d'exportation
les maquiladoras emploient de la main d'uvre à bon
marché, en l'occurrence des femmes provenant de milieux
défavorisés. "Le milieu est propice à
l'exercice de la violence sous toutes ses formes, souligne-t-elle.
Il existe de multiples hypothèses concernant ces meurtres
et aucune n'est davantage valable que l'autre. Mais peu importe
la cause, le système judiciaire n'a pas fait son travail.
En dix ans, on n'a trouvé qu'un seul coupable." Actuellement,
environ 35 personnes sont mises en accusation et se trouvent
sous les verrous. Aucune ne sera probablement pas déclarée
coupable, croit Marie-France Labrecque, qui ajoute qu'"en
tant que membre de l'ALENA, le Canada doit à tout prix
faire pression sur le gouvernement fédéral mexicain
pour faire avancer les choses".
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