Les boucs émissaires
L'homosexualité n'est plus ce qu'elle
était
"Gardons à l'esprit que ce qui est un crime aujourd'hui
demeure susceptible d'être accepté socialement et
juridiquement demain."
par Renée Larochelle
Novembre 1691. Nicolas Daucy dit la Rooze est banni à
vie de la Nouvelle France pour crime de sodomie. Mai 1726, Benjamin
Deschauffours est brûlé vif sur la place publique
à Paris pour le même crime. Montréal, avril
2004. Michael Hendricks et René Leboeuf se marient sous
les applaudissements de la foule, devenant le premier couple
de même sexe à unir officiellement leur destinée
au Québec. Autre temps, autre moeurs: jadis source d'opprobre
collectif et crime parmi les crimes, l'homosexualité est
devenue, en moins de 400 ans, complètement normalisée,
la société protégeant légalement
les homosexuels contre toutes les formes de discrimination légale.
C'est ce caractère relatif et évolutif de la criminalité,
en l'occurrence celle entourant l'homosexualité, qu'examine
Patrice Corriveau dans sa thèse de doctorat intitulée
Du bûcher à la mairie: histoire et sociologie
de la répression juridique des homosexuels en France et
au Québec du 17e siècle à aujourd'hui.
Jusqu'au milieu du 18e siècle, dans la Mère Patrie
comme en Nouvelle-France, la sodomie constitue une atteinte directe
à l'ordre divin, dont le Roi est l'illustre héritier.
En fait, le sodomite est châtié ouvertement seulement
lorsque son crime se mêle à un crime de sang ou
à un attentat sur la jeunesse. Qu'il s'agisse d'un meurtre
ou d'un viol, la sentence exclut totalement l'acte violent pour
se concentrer sur la sodomie, un crime tellement monstrueux que
les Pères de l'Église taisent jusqu'à son
nom, de peur d'inspirer les uns et de choquer les autres.
Si ces comportements jugés déviants, consentants
ou non, continueront d'être lourdement réprimés
par la doctrine pénale au Canada français, la France,
guidée par les philosophes des Lumières, se tournera
vers un discours plus scientifique et rationnel. Du même
coup, les crimes à connotation religieuse ou contre les
murs disparaîtront lentement mais sûrement du code
pénal pour être remplacés par tout ce qui
touche l'Individu ou ses biens. Progressivement, le médecin
prendra la place du curé. En lieu et place d'une conception
religieuse de la moralité publique s'instaurera la peur
de la contagion, associée aux murs déviantes. Bref,
le criminel sera davantage perçu comme un malade que comme
un scélérat.
Gare aux pédophiles
"Tout d'abord, la religion a présenté
le sodomite comme une menace à l'endroit de la famille
traditionnelle, résume Patrice Corriveau. Ensuite, la
médecine s'est attardée à désigner
les risques que faisait encourir l'inverti à la santé
de la nation. Enfin, l'État, la médecine et le
clergé ont tous soulevé les dangers inhérents
à la corruption des murs chez la jeunesse. En ce début
du 21e siècle, où les droits des homosexuels sont
garantis légalement, on assiste en corollaire à
la chasse aux pédophiles et aux pères incestueux.
C'est comme si la société avait besoin de trouver
un déviant, un coupable de service, afin de détourner
sa violence inassouvie vers une victime. Loin de moi l'idée
de dire que le pédophile n'est pas un acte criminel, mais
il n'en demeure pas moins que la façon dont une société
perçoit un acte criminel est très utile pour comprendre
cette même société."
Des exemples? Apprendre que le suicide était punissable
de la pendaison en vertu de la loi pénale de la Nouvelle
France peut paraître farfelu aujourd'hui. Cependant, le
suicide n'a été décriminalisé qu'en
1972 au Canada. Dans les années 1970, la pédophilie
et l'inceste étaient relativement tolérés
dans notre sociétés alors qu'ils sont hautement
réprimés aujourd'hui, et ce, tant moralement que
juridiquement. Gardons à l'esprit que ce qui est un crime
aujourd'hui demeure susceptible d'être accepté socialement
et juridiquement demain."
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