
Maudites médailles
L'obsession de la victoire a dénaturé
le sport, déplorent des experts
par Jean Hamann
Ils ont fait leur la devise "Plus vite, plus haut, plus
fort". Lorsqu'ils gagnent, on les couvre d'or et de gloire.
Lorsqu'ils perdent, on les oublie. Lorsqu'ils se font pincer
pour usage de produits dopants, on les répudie. Entre
les trois options, leur corps d'athlète balance. "Les
athlètes dopés sont-ils des tricheurs ou des victimes?",
se sont demandé les participants du plus récent
Bar des sciences, présenté le 8 septembre à
Québec, à l'initiative du Cégep de Limoilou
et de l'Université Laval.
Pour Claude Savard, directeur du Département d'éducation
physique de l'Université Laval, il est clair que les athlètes
sont davantage des victimes consentantes que des tricheurs. "Le
système sportif les pousse au maximum. Ils doivent performer
et gagner. La quête de victoires les force à aller
au-delà de leurs limites et à partir de là,
la fin justifie les moyens. Le désir de remporter des
médailles corrompt le sport."
C'est vrai que les athlètes sont soumis à des pressions
de toutes parts, reconnaît Jocelyn East, du Centre canadien
pour l'éthique dans le sport, mais ça ne peut excuser
tous les comportements. "Trop d'athlètes utilisent
cette excuse pour justifier le recours aux produits dopants."
Dany Bernard, chargé de cours à l'Université
et directeur du programme sport-études en hockey à
l'Académie Saint-Louis, juge que les athlètes qui
se dopent sont carrément des tricheurs parce qu'ils avaient
le choix de dire non. "L'esprit sportif repose sur trois
principes: la loyauté, l'équité et le désir
de vaincre, rappelle-t-il. Le dopage va à l'encontre du
principe d'équité et ça dénature
le sport."
Dans certains pays, le dopage sportif existe chez les enfants
de 8 ans, signale toutefois Stéphanie Dubal, chercheure
au CNRS en France. "Pour moi, il est clair qu'à cet
âge, ce sont des victimes. Ils savent que le dopage, ce
n'est pas bien, mais ils ne comprennent pas ce que ça
implique du point de vue éthique ou moral."
Un esprit sain...
Une étude menée il y a deux ans par Pierre
Valois et Mélanie Côté, de la Faculté
des sciences de l'éducation, auprès de 3 573 jeunes
athlètes québécois d'élite âgés
de 10 à 20 ans, a révélé que 26 %
d'entre eux avaient fait usage de produits dopants, au moins
une fois, dans les 12 mois précédant l'enquête.
Un chiffre percutant que les responsables de l'étude considéraient
de plus comme une sous-estimation de la réalité.
Autre révélation troublante, 2 % des répondants
avaient déclaré avoir été encouragés
à consommer des produits dopants par leur entraîneur
ou par leurs parents!
Si un jeune athlète se dope, il faut regarder du côté
des valeurs des parents et surtout de l'entraîneur, croit
Dany Bernard. "Ce dernier est une personne de référence
importante pour les jeunes athlètes et c'est la pièce
maîtresse de tout le système sportif. C'est lui
qu'il faut sensibiliser. Malheureusement, dans les stages de
perfectionnement des entraîneurs, les ateliers qui portent
sur l'éthique sont peu courus."
Claude Savard déplore que le gros des énergies
soit présentement placé sur le débusquage
des tricheurs plutôt que sur la prévention. Tout
en reconnaissant que, sur le plan de la santé publique,
le dopage des athlètes d'élite est un problème
qui touche une très faible proportion des jeunes, il croit
néanmoins que le phénomène a valeur d'exemple
qui appelle une intervention. "Il faut prévenir la
consommation de produits dopants pour protéger la santé
des athlètes, bien sûr, mais aussi parce que ce
sont des modèles pour le reste de la société.
Il ne faut pas que le message du sport soit que ce qu'il y a
de plus important est la victoire à tout prix. Il faut
que les athlètes essaient de se dépasser, qu'ils
essaient de gagner, bien sûr, mais le sport sert aussi
à connaître ses limites et à les accepter.
Par ailleurs, il faut également que nous acceptions, comme
société, que le sport est un moyen d'éducation
et non une machine à fabriquer des héros."

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