
«Mon style, mon genre»
Les préadolescentes ont-elles encore
le choix d'être elles-mêmes?
par Renée Larochelle
En ces temps où posséder un style est un must,
les magazines pour préadolescentes véhiculent un
double message. D'une part on incite des filles à peine
sorties de l'enfance à se définir par un look spécifique
et, d'autre part, on leur dit quoi porter pour obtenir ce même
look. En somme, être soi-même devient une mode en
soi qu'il faut suivre, si on veut continuer à ressembler
à tout le monde.
Tel est l'un des constats qui se dégagent d'une étude
réalisée par Pierrette Bouchard, professeure à
la Faculté des sciences de l'éducation. La recherche
a été menée auprès de 15 filles âgées
de 9 à 12 ans de la région de Québec, abonnées
ou consommatrices de magazines pour filles, en l'occurrence Cool!
et Filles d'aujourd'hui. Pour les fins de cette étude
dont les résultats sont partiels, ces tweens dans
la fleur de l'âge étaient invitées à
commenter le contenu de deux numéros parus en 2003. Si
certaines se montrent critiques face au contenu ("C'est
sûr que ce qu'il y a là dedans, c'est pas l'idéal
(...) Les choses qu'y t'apprennent dans ces revues, c'est comment
être à la mode, comment te faire un chum"),
la majorité croit dur comme fer ne rien sacrifier à
leur personnalité dans cette course folle au look, qu'il
soit classique, funky, techno, friperie, rave, "fashion
timide" ou "corporate sportive". Et pourtant...
"Promouvoir l'identité personnelle tout en vendant
la conformité sociale constitue un paradoxe gagnant pour
l'industrie de la mode, souligne Pierrette Bouchard. C'est une
stratégie de marketing très habile. En fait, l'industrie
propose une très grande variété de vêtements
parmi lesquels les filles croient choisir celui qui exprimeront
le mieux leur personnalité." Un exemple? "Tu
tripes sur le style hip-hop? Voici des vêtements cool qui
te donneront un look bien à toi. À adopter sur-le-champ!"
"De prime abord, lorsqu'on écoute les filles parler
de leurs choix de look, on pourrait croire qu'il s'agit d'une
forme d'émancipation face aux tendances de la mode, note
Pierrette Bouchard. Pourtant, on se rend vite compte que ce discours
est puisé à même les magazines qui présentent
une panoplie de looks à adopter, tout en définissant
eux-mêmes la personnalité associée au look
en question."
À ce moment crucial de leur vie où elles sont en
pleine recherche de leur identité, les préadolescentes
apprennent ainsi à se définir par l'image qu'elles
projettent. Sans compter que cette variété de looks
présente un dénominateur commun: dénudant
le corps à souhait, les vêtements qui s'étalent
dans les pages des magazines sont toujours sexy, quelque soit
le genre proposé, et toujours rehaussés par une
quantité impressionnante d'accessoires: bijoux, lunettes,
strings, maquillage, etc. Les petites femmes sexy d'aujourd'hui
ne sont-elles pas les consommatrices de demain?
Si elle admet que la promotion de l'industrie de la mode et de
la consommation par de toutes jeunes filles dans les magazines
n'est pas un phénomène nouveau, Pierrette Bouchard
affirme que la nouveauté réside dans le fait que
les filles qu'on y retrouve sont de plus en plus jeunes. "On
assiste à un mouvement d'infantilisation et de sexualisation
précoce, explique la chercheure. Avant, c'était
la femme-enfant qui était exhibée. Maintenant,
c'est en quelque sorte l'enfant-femme. Tout cela n'est qu'un
leurre. Réalisons-nous que nous faisons vieillir nos enfants
trop vite? Les gains d'autonomie réalisés avec
le féminisme sont-ils menacés par les stéréotypes
inculqués à la génération montante?"

|
|