Radio X: liberté d'expression ou dérive?
Les propos offensants feraient partie du produit au même
titre que le sport et le rock alternatif
par Pascale Guéricolas
Manifestement, la question du non-renouvellement de la licence
de la station de radio CHOI FM et de la liberté d'expression
à Québec passionnent toujours autant les foules.
Le hall d'entrée du Musée de la civilisation débordait
lundi soir alors que quatre conférenciers débattaient
du rôle du CRTC dans cette affaire et du droit de s'exprimer
sur les ondes publiques, dans le cadre de la série Participe
Présent. L'animatrice Françoise Guénette
a d'ailleurs eu fort à faire pour maintenir les échanges
courtois entre certains participants du public et les invités.
"Il ne faut pas confondre la liberté d'expression
et le droit de dire n'importe quoi!", a lancé Diane
Vincent, professeure de langue et linguistique à l'Université
Laval et coauteure de Fréquences limites; la radio
de confrontation au Québec, après avoir cité
quelques propos particulièrement offensants tenus par
l'animateur Jeff Fillion. Appelant un chat un chat, la linguiste
a cité dans le texte les remarques sexistes, racistes
et homophobes qui parsèment le discours de cet adepte
de la radio-choc. À ses yeux, les mots blessants incitent
à la haine et ont un coût social élevé.
"Il y a une banalisation de la violence dans les cours d'école,
car les jeunes utilisent les termes qu'ils entendent à
la radio diffusée dans l'autobus, remarque-t-elle. À
l'insulte, on répond par l'insulte."
Le dénigrement érigé en modèle
d'affaires
Abondant dans le même sens, Daniel Giroux, secrétaire
général du Centre d'études sur les médias
de l'Université Laval, approuve la décision du
CRTC d'avoir suspendu la licence de CHOI. "En 2002, déjà,
la station avait été avertie de corriger la situation
et rien n'a été fait, rappelle-t-il. Pourquoi?
Parce que les propos offensants font partie du produit au même
titre que le sport et le rock alternatif. C'est un cercle mercantile
qu'il faut briser." Frédérick Têtu,
professeur de philosophie au Cégep François-Xavier
Garneau, ne partage pas du tout cette analyse. Endossant le rôle
de défenseur de la liberté d'expression totale
alors que Genex, l'entreprise propriétaire de CHOI, avait
décliné l'invitation du Musée de la civilisation,
il a plaidé haut et fort pour une libéralisation
des ondes publiques et le recours aux tribunaux plutôt
qu'au CRTC pour les auditeurs offensés.
"Comme citoyen, j'ai plus confiance en la société
civile et en des juges indépendants qu'en un organisme
bureaucratique où les gens sont nommés pour cinq
ans", soutient l'enseignant qui est aussi coprésident
de la campagne électorale de l'Action démocratique
du Québec dans le comté de Vanier. "Actuellement,
on assiste à une campagne de salissage, à un discours
haineux envers Jeff Fillion devenu le "salaud" de service."
Cet auditeur de CHOI, dont les opinions tranchées lui
ont valu de se faire huer par une bonne partie du public, ne
reconnaît d'ailleurs pas sa station préférée
dans le portrait apocalyptique qu'on dresse d'elle aux quatre
coins du Québec. Tout comme plusieurs participants du
public qui ont exprimé au micro leur attachement à
une radio originale dans un paysage médiatique québécois
où règne la convergence. Un spectateur a ainsi
fait remarquer que Genex constituait un des rares groupes indépendants
parmi les entreprises propriétaires de journaux ou de
stations au Québec.
La solution au délicat équilibre entre la liberté
d'expression et les limites au dénigrement passe peut-être
par un accès facilité aux tribunaux, selon Hugo
Lépine, directeur de la Maison de Lauberivière.
Conscient que bien souvent les citoyens plus démunis ne
peuvent avoir recours à la justice lorsqu'ils se sentent
offensés par les propos de certains animateurs, cet avocat
de formation voudrait qu'on profite du débat actuel pour
s'inquiéter du manque d'accessibilité aux tribunaux.
"On pourrait également créer un ordre professionnel
pour les artisans de la radio avec un code de déontologie
et un comité de discipline pour les individus qui y dérogent",
suggère-t-il. Une proposition restée lettre morte
dans le débat.
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