Rififi autour du X fragile
Une équipe de la Faculté
de médecine remet les pendules à l'heure sur les
causes d'une maladie mentale héréditaire
par Jean Hamann
Dans un article publié le 7 septembre par la revue
scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences,
l'équipe du professeur Edouard Khandjian, de la Faculté
de médecine, vient contredire ce qui était considéré
dans certains milieux comme l'une des découvertes marquantes
de 2003 dans le domaine de la biologie cellulaire. Bien que le
chercheur ne l'avoue pas ouvertement, il s'agit d'une douce revanche
puisque la grande "découverte", qui avait été
publiée en février 2003 dans la prestigieuse revue
Cell, contredisait les travaux réalisés
depuis dix ans dans son propre laboratoire. "Depuis 18 mois,
notre domaine de recherche était pour ainsi dire bloqué,
commente le professeur Khandjian. Personne ne voulait publier
de résultats qui allaient à l'encontre du modèle
très sexy et très glamour qui avait
été proposé dans Cell par des chercheurs
de Rome et de Rotterdam. Notre petite équipe de Québec
a osé dire que ces chercheurs s'étaient trompés."
La pomme de discorde entre les deux équipes concerne le
mécanisme cellulaire responsable du syndrome de retard
mental du X fragile. Cette maladie, qui constitue la première
cause de retard mental héréditaire à travers
le monde, se manifeste, chez l'enfant, par un retard d'apprentissage
du langage et par des comportements hyperactifs ou autistiques.
Elle frappe davantage les garçons (1 sur 4 000) que les
filles (1 sur 6 000). L'équipe du professeur Khandjian
a montré que la mutation responsable de cette maladie
cause l'inhibition du gène codant pour la protéine
appelée FMRP (Fragile X Mental Retardation Protein). Ces
protéines sont présentes dans tous les tissus du
corps, mais leur concentration est 100 fois plus élevée
dans les cellules nerveuses. Les chercheurs croient qu'elles
interviennent dans le mécanisme de traduction des ARN
messagers. Elles feraient partie d'un complexe qui conduit les
ARN messagers du noyau de la cellule vers les sites de synthèse
des protéines.
En 2003, coup de théâtre dans Cell, des chercheurs
européens affirment que, dans les neurones, la FMRP n'intervient
pas dans le mécanisme de traduction. Ils proposent donc
une fonction révolutionnaire, sensationnelle et inattendue
pour cette protéine. "Aussitôt que j'ai lu
leur article, je me suis dit "Impossible!". Ces jeunes
chercheurs ont commis une erreur méthodologique dont sont
bien prévenus les plus vieux. Ils ont eu recours à
un détergent qui ne doit pas être utilisé
pour de telles expériences."
Avec son équipe formée de Marc-Étienne Huot,
Sandra Tremblay, Laetitia Davidovic, Rachid Mazroui et Barbara
Bardoni, le professeur Khandjian reprend une à une toutes
les étapes techniques du travail des chercheurs européens
ainsi que celles de leurs propres travaux pour arriver à
la conclusion "que nos confrères manquaient peut-être
de rigueur scientifique", résume-t-il. "Ils
ont échafaudé une histoire époustouflante,
à première vue crédible, basée sur
des prémices erronées, accidentelles ou manipulées,
peu importe. L'important, c'est que notre contre-découverte
remet les pendules à l'heure."
Le chercheur avoue retirer une grande satisfaction "d'avoir
vu juste, d'avoir rétabli les faits et de constater que
notre modèle tient toujours la route". Il est surtout
heureux pour les jeunes de l'équipe qui, après
avoir consacré un an de travail à démentir
le nouveau dogme, voient leur travail reconnu dans Proceedings
of the National Academy of Science, une autre revue très
prestigieuse. "Ça a été une histoire
passionnelle, qui a mis du piquant dans notre quotidien. Maintenant
que nous avons tiré les choses au clair, nous pouvons
continuer nos travaux", conclut le professeur Khandjian.
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