
Déplacer les montagnes
De la géologie à la théologie, le parcours
inusité du professeur et auteur Guy Jobin
par Yvon Larose
L'ouvrage La foi dans l'espace public, sous-titré
Un dialogue théologique avec la philosophie morale
de Jean-Marc Ferry, est paru ce printemps aux Presses de
l'Université Laval. Il s'agit du premier livre de Guy
Jobin, professeur adjoint de théologie morale et d'éthique
à la Faculté de théologie et de sciences
religieuses. À partir du modèle développé
par le philosophe français Jean-Marc Ferry, l'auteur réfléchit
sur la contribution des discours religieux dans nos sociétés
pluralistes, démocratiques et sécularisées.
"Deux présupposés traversent mon livre, explique-t-il.
Premièrement, les croyants peuvent s'insérer dans
l'espace public, c'est-à-dire contribuer à la construction
de la société. Or, la tendance actuelle serait
de dire que la croyance est une affaire personnelle. Qu'elle
n'a d'impact que sur la vie privée. Mais du point de vue
du croyant, on ne peut se limiter à ça. La communauté
de foi n'est pas là pour elle-même seulement. Parce
qu'il y a cette dynamique du christianisme de ne pas rester replié
sur soi. Deuxièmement, l'Évangile peut entrer en
relation fructueuse avec toutes les cultures. C'est une conviction,
un point de vue croyant sur les choses."
Une grande soif de connaissances
Curieux de nature, Guy Jobin a toujours eu un intérêt
marqué pour la connaissance. Adolescent, il se passionne
pour les questions scientifiques. À 19 ans, il entreprend
un baccalauréat en génie géologique à
l'Université Laval. Ses études lui apportent beaucoup
de satisfaction et il envisage faire carrière en ce domaine.
Il obtient son diplôme en 1987. Mais il n'exercera pas
la profession d'ingénieur, car de cette époque
date ce qu'il appelle "une sorte de retour à la foi".
"Ce n'était pas une conversion, dit-il. Les religions
m'avaient toujours attiré. Et ce retour à la foi
s'accompagnait en même temps de la question du sens de
la vie." Par voie de conséquence, Guy Jobin s'engage
dans les milieux communautaires catholiques à Montréal
et à Québec. Mais au bout de quelques années,
il effectue un retour aux études. "Je me suis dit:
c'est beau vivre de sa foi, mais il faut bien comprendre le monde
dans lequel on vit. Passons donc par la sociologie, ensuite on
fera théologie."
Il obtient son diplôme en sociologie en 1992. Il qualifie
ces deux années passées à Laval de "décapantes"
au point de vue intellectuel. Et de "déstabilisantes"
au point de vue de sa vie croyante. "Ces années furent
salutaires, indique-t-il. Cette mise à l'épreuve
m'a fait perdre une certaine naïveté. Il ne faut
pas rester dans sa naïveté par rapport à sa
foi. Les illusions que j'ai perdues m'ont donné une distance
critique par rapport à la vie croyante quotidienne."
En 1994, il entreprend des études de théologie
à l'Université Saint-Paul, à Ottawa. Six
ans après, il obtient un doctorat en éthique théologique.
Ce domaine touche au sens de la vie et consiste en une réflexion
critique sur l'action, dans la mouvance de la foi.
Des influences réelles
De ses lointaines études de géologie, Guy Jobin
a retenu la manière de penser et la rigueur de la démarche
scientifique. Ces notions lui donnent des clés d'interprétation
de la pensée des gens qu'il côtoie, dans ses travaux
de recherche et par son implication en bioéthique, dans
les milieux médicaux et scientifiques. Quant aux thèmes
qu'il essaie de développer en éthique théologique,
ils sont fortement influencés par son passage en sociologie.
"Par exemple, l'attention aux dynamismes sociaux qui ont
fait la société d'aujourd'hui, ajoute-t-il. D'avoir
une certaine familiarité avec ces dynamismes me fait envisager
autrement mon travail de théologien."
Comme théologien, Guy Jobin ne se voit pas comme quelqu'un
qui doit dire les normes, ou les élaborer. "Je me
considère plutôt comme quelqu'un qui doit se pencher
de manière critique sur les discours normatifs dans les
communautés de foi, dans l'Église et dans la société."
Il croit qu'aujourd'hui il devient encore plus criant de bien
comprendre notre monde. "Pour voir quel agir pertinent on
peut avoir comme croyant pour la construction de la Cité,
poursuit-il. Avec toujours cet impératif de croire que
cette société peut être humanisante."

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