Bande à part
La violence chez les femmes est une roue qui tourne
En 1976, au Canada, 9 % des accusations portées contre
les femmes concernaient la violence. En 2001, le taux était
de 26 %. Les femmes autochtones comptent actuellement pour 23
% des détenues dans les prisons canadiennes, alors qu'elles
ne représentent que 2 % de la population du pays.
Dévoilées par la criminologue Marie-Andrée
Bertrand lors de la tenue de la deuxième édition,
sur le campus de l'Université Laval, de l'Université
féministe d'été, ces statistiques troublantes
jettent un froid sur l'idée selon laquelle les femmes
seraient moins violentes que les hommes. Certes, les femmes sont
sorties de leurs cuisines depuis longtemps et, l'occasion faisant
le larron, elles ont augmenté du même coup leurs
chances de commettre des crimes.
Selon Marie-Andrée Bertrand, c'est là une hypothèse
qui peut tenir la route sur les chemins cahoteux de la délicate
question de la violence chez les femmes. Professeure à
l'École de service social et codirectrice du centre de
recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la
violence faite aux femmes (CRI-VIFF), Dominique Damant préfère
toutefois emprunter un sentier plus subtil. "Ne pas reconnaître
la violence des femmes est un non-sens mais sortir cette même
violence de son contexte est également un non-sens",
explique-t-elle.
Contexte: le mot est lâché. Pour Dominique Damant,
les comportements violents chez les femmes doivent à tout
prix être étudiés à la lueur des rapports
sociaux de sexe, si on veut y comprendre quelque chose. Par exemple,
les prostituées de rue qui se retrouvent dans des groupes
criminalisés - où les rapports entre les hommes
et les femmes demeurent très stéréotypés
- ne détiennent pas le même pouvoir que les garçons.
"Elles sont là pour faire plaisir aux gars, n'hésite
pas à dire Dominique Damant. En réaction à
des gestes de violence perpétrés à leur
endroit par leur chum, ou par le chum de leur chum, elles vont
à leur tour poser des gestes très violents. En
fait, ce n'est un secret pour personne que de dire que les filles
qui sont nées et qui ont vécu dans un climat de
violence utiliseront à leur tour la violence pour survivre."
Sans compter le fait que plusieurs femmes deviennent à
la longue plus vulnérables à la violence, en plus
d'y réagir différemment. "Un homme qui reçoit
un objet à la tête va souvent ridiculiser la femme
qui le lui a lancé. La femme qui vit la même situation,
elle, sera terrorisée."
Ce n'est parce qu'on entend peu parler des filles dans les
gangs que le phénomène n'existe pas, remarque Marie-Marthe
Cousineau, professeure à l'École de criminologie
de l'Université de Montréal, qui a dressé
un portrait peu reluisant de la vie des filles dans les gangs
à ne pas confondre avec groupes d'amis ou de chums
Ainsi, celles qui font partie de ces groupes très
organisés doivent "rapporter" sous peine d'encourir
l'ire des leaders du groupe. Pour survivre et continuer à
faire partie de la gang, perçue comme une vraie famille,
la fille se donnera corps et âme. Elle va frauder, voler,
faire du taxage, danser nue, se prostituer, transporter de la
drogue, des armes, etc. Elle servira aussi de monnaie d'échange
entre les gars du groupe qui n'hésiteront pas à
se la "prêter", en cas de besoin. Reléguée
au second plan, la fille ne se retrouve jamais près du
"noyau dur" de la gang, c'est-à-dire près
des leaders. Et si jamais elle s'en rapproche, le contrôle
dont elle est constamment l'objet ne fera que s'accentuer. Car
l'air est bien connu, d'insister Marie-Marthe Cousineau. "Dans
les gangs, les gars ont le contrôle et les filles exécutent."
RENÉE LAROCHELLE
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