Drames antiques
L'Empire romain a eu sa part d'ennuis avec la
nature
Les textes anciens écrits du temps de l'Empire romain
révèlent que la production agricole fluctue fréquemment,
en particulier dans le cas des céréales qui constituent
pourtant la base de l'alimentation à cette époque.
Ces fluctuations souvent fortes sont d'abord et avant tout causées
par des variations climatiques sur les plans de la température,
de la pluviosité ou de la sécheresse. Des invasions
de sauterelles ou des maladies spécifiques à différentes
céréales peuvent aussi compromettre les récoltes.
La gestion de ces crises alimentaires conduit à différents
choix techniques. Les agriculteurs du temps diversifient les
céréales cultivées, choisissent des espèces
plus résistantes comme le seigle, et alternent les cultures.
Une ville comme Rome va même jusqu'à lever un impôt
pour assurer le ravitaillement en blé.
Telles sont les grandes lignes de la conférence prononcée
à la mi-mai à l'Université Laval par Mireille
Corbier, directrice de la revue savante d'archéologie
romaine L'Année épigraphique. Son intervention
s'est déroulée dans le cadre d'un colloque international
organisé par la Chaire de recherche senior du Canada en
interactions société-environnement naturel dans
l'Empire romain.
À cette époque, l'étendue de l'empire conjuguée
à la lenteur des communications et des moyens de transport
fait en sorte que Rome apprend tardivement la nouvelle concernant
des événements majeurs comme un tremblement de
terre, une éruption volcanique ou un incendie en milieu
urbain. Le pouvoir impérial réagit habituellement
par une contribution financière destinée aux réparations
et à la reconstruction. Cela dit, même à
Rome où firent rage de grands incendies, l'aide à
la reconstruction ne compense pas les dommages subis. Sur place,
les individus éprouvés réagissent en général
par la fuite. Les textes d'époque font mention d'une certaine
attitude fataliste chez les sinistrés, ceux-ci étant
portés à attribuer les catastrophes à la
volonté des dieux. Les secours qui s'organisent donnent
lieu à des gestes de solidarité.
Sémantique impériale
Ella Hermon, professeure au Département d'histoire
de l'Université Laval et titulaire de la Chaire de recherche
senior du Canada en interactions société-environnement
naturel dans l'Empire romain, s'est penchée, pour sa part,
sur le sens qu'avait alors le mot «frontière».
Selon elle, il faut considérer l'évolution parallèle
des notions de frontières et de «limites»
pour comprendre le concept en question. Sur le plan étymologique,
le mot «frontière» dérive du latin
frons (avant-pays). Dans une perspective impériale,
le monde situé à l'extérieur de la frontière
représente une source de danger mais aussi de convoitise.
Les frontières sont des zones de transition où
se manifestent des forces centrifuges. En revanche, les «limites»
sont orientées vers le monde intérieur, l'arrière-pays.
À l'origine, elles délimitaient le bornage des
propriétés. Par la suite, elles désignent
le tracé du système du limes impérial,
la zone frontière qui sépare l'empire du monde
barbare. Elles sont l'expression des forces centripètes
du pouvoir central.
Dans son allocution, Philippe Leveau, professeur d'archéologie
à l'Université de Provence, a abordé la
question de la fondation d'Arelate (Arles, aujourd'hui), entre
46 et 44 avant Jésus-Christ, par des colons romains. L'emplacement
est situé dans un espace dominé par l'eau, où
le Rhône se divise en plusieurs branches. Des marais et
une vaste plaine l'environnent. Ce site, aux dires du conférencier,
marque l'importance nouvelle que Rome accorde à l'axe
fluvial qui constitue la voie d'entrée de la Gaule intérieure.
Et ce, malgré le fait que le delta du Rhône soit
un espace à la fois attractif (pour les navigateurs et
les agriculteurs) et répulsif (déplacements difficiles).
Selon Philippe Leveau, un réseau de villae et d'agglomérations
rurales sert, du temps de l'Empire, à l'exploitation de
la basse plaine.
Quant à Pierre Jaillette, maître de conférences
d'histoire ancienne à l'Université de Lille, il
a fait porter sa présentation sur la désertion
des terres dans l'Antiquité tardive. Cette longue période
de crise et de déclin prend fin avec la chute de l'Empire
romain d'Occident, dans les premiers siècles de notre
ère. Des fouilles récentes et une relecture des
textes anciens permettent de croire que le phénomène
des terres désertées et des villages abandonnés
fut, en fin de compte, moindre qu'on ne le croyait. Selon le
conférencier, la régression, causée notamment
par des invasions, des guerres civiles et des razzias de pilleurs,
ne fut pas aussi complète, ni aussi généralisée,
ni aussi continue que le pensaient les chercheurs.
YVON LAROSE
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