
Une révolution inachevée
Les promesses du génie génétique
tardent à se matérialiser dans la pratique médicale
courante
Le génome humain est en grande partie décodé,
des milliers de marqueurs génétiques ont été
découverts et, pourtant, moins d'une centaine de tests
génétiques sont utilisés en clinique, dont
à peine une dizaine de façon courante, pour établir
des diagnostics médicaux ou pour identifier les porteurs
de gènes mutants. Que se passe-t-il donc pour que la montagne
de découvertes réalisées en laboratoire
disparaisse, comme absorbée par un trou noir, avant que
les malades ne puissent en profiter? C'est à cette épineuse
question qu'a tenté de répondre le professeur François
Rousseau, en conférence d'ouverture de la Journée
de recherche de la Faculté de médecine, qui avait
lieu le 3 juin sur le campus.
Médecin, spécialiste de la génétique
et chercheur au Centre de recherche de l'Hôpital Saint-François-d'Assise,
François Rousseau vit à cheval entre le monde de
la recherche et la clinique. De son poste d'observation privilégié,
il pose un diagnostic sans complaisance. "Une partie des
attentes non remplies vient du fait que les chercheurs fondamentaux
ont fait de la survente en promettant de trouver des solutions
aux maladies génétiques, dans l'espoir d'obtenir
plus de financement pour leurs travaux. Les médias ont
fait écho avec empressement à ces promesses»,
juge-t-il.
Cependant, le noeud du problème est ailleurs. «Au
cours des 20 dernières années, le nombre de publications
faisant état de la découverte de marqueurs génétiques
a augmenté de façon exponentielle, souligne François
Rousseau. Mais, ce n'est pas parce que ça existe et que
ça fonctionne en laboratoire que ces tests vont être
utilisés dans la pratique médicale. Il faut faire
des études de validation clinique des tests. Ces études
exigent de très grands groupes de sujets, elles coûtent
cher et comme ce n'est pas de la science très sexy,
leur financement est difficile à obtenir."
Des choix cruels
Même si un test parvenait à franchir toutes
ces étapes, la pertinence de dépister une maladie
génétique pour laquelle il n'existe pas de traitement
doit être soulevée. «Il est inutile de faire
efficacement ce qu'on ne devrait pas faire du tout», commente
François Rousseau. Dans le cas où un traitement
existerait, la décision administrative d'intégrer
ce test au système de santé reste très problématique.
«Les agences chargées de ramasser toutes les informations
disponibles sur un test et de faire des analyses coûts/efficacité
sont sous-financées et elles ne parviennent pas à
absorber tout ce qui sort des labos, explique François
Rousseau. Le pipeline est plein et il y a un goulot d'étranglement
majeur.»
Enfin, le dernier obstacle, aussi implacable qu'incontournable,
repose sur l'argent. Les maladies génétiques sont,
somme toute, peu fréquentes, ce qui les désavantage
dans les analyses coûts-efficacité. Dépister
dans toute une population une maladie qui frappe une personne
sur 3 000 coûte cher et les bénéfices que
la société peut espérer retirer de l'opération
sont limités. «C'est le genre de choix cruels qui
doivent être faits pour assurer la survie du système
de santé. Souvent, le bien commun ne va pas dans le sens
du bien des personnes atteintes de maladies génétiques»,
ne peut que constater le médecin-chercheur.
JEAN HAMANN
|