Le bon grain est livré
Les agriculteurs «biologiques» veulent plus que
nous faire bien manger
Au Québec, les agriculteurs biologiques se sentent individuellement
et naturellement responsables de la santé du sol, des
plantes, des animaux et des humains. Certes, leur champ d'action
n'est pas encore très étendu - au propre comme
au figuré - mais ils se préoccupent largement de
la qualité de la terre qu'ils laisseront derrière
eux, souhaitant qu'elle soit la plus vivante, la plus saine et
la plus équilibrée possible.
C' est l'un des constats que fait Mary Richardson, étudiante
au doctorat en anthropologie, après avoir mené
des entrevues auprès d'une vingtaine d'agriculteurs biologiques
dont la marque de commerce est la conviction que la terre et
les hommes qu'elle nourrit méritent le plus grand respect.
Lors du colloque du groupe TIERCES (Groupe de recherches transdisciplinaires
sur les identités, la responsabilité sociale, les
communautés et la santé) qui a eu lieu récemment,
la chercheure a présenté les résultats partiels
de sa recherche intitulée «Pratiques, savoirs et
éthique du vivant: le cas de agriculteurs biologiques
au Québec».
D'abord, les agriculteurs prennent un soin minutieux à
fournir de la nourriture saine, variée et fiable aux gens,
dont un bon exemple est le "panier bio" qu'ils préparent
à l'intention de leurs clients, qui s'engagent à
acheter des produits frais de la ferme pendant toute la saison.
«L'importance symbolique et réelle du lien que cette
forme d'échange crée avec des cultivateurs locaux
et des terres agricoles est de plus en plus valorisée
par nombre d'urbains qui se sentent coupés des sources
de leurs aliments, et qui souvent ne font pas confiance aux aliments
sur les rayons des grandes chaînes d'épicerie, souligne
Mary Richardson. À travers ce système local, on
recherche une forme de lien à la terre plus étroite
et plus ancrée dans le quotidien. Certains producteurs
sont tellement consciencieux de composer un beau panier varié
et bien rempli que les clients eux-mêmes leur disent de
diminuer les quantités, sinon ils ne feront pas d'argent!»
Un code d'honneur
Veillant au grain, les producteurs n'hésitent pas
à dénoncer des abus d'étiquetage ou d'appellation
trompeuses. Ainsi, il n'est pas rare qu'un produit «fait
à partir de pommes biologiques» et qui ne l'est
pas fasse l'objet d'une plainte en bonne et due forme. De même,
sans faire l'objet d'une enquête, des dénominations
floues comme «naturel», «terroir» accolées
sur un produit font tiquer plusieurs agriculteurs. Enfin, ils
sont nombreux à ne pas utiliser certains intrants pourtant
permis en agriculture biologique, tout simplement parce qu'ils
ne croient pas qu'il s'agisse d'une bonne pratique. "En
fait, le code d'honneur des agriculteurs est simple, rappelle
Mary Richardson: interdiction de semences transgéniques,
perçues comme une menace pour l'intégrité
du vivant, traitements homéopathiques en lieu et place
des antibiotiques dans les soins aux animaux, à qui on
ménage de grands espaces, l'accès à l'air
frais et à la lumière du jour et préconisation
d'amendements au sol pour en améliorer la structure, la
composition en matières organiques.
«Cette responsabilité pour la terre qu'ils cultivent
se perçoit également dans le souci que les agriculteurs
ont face à la biodiversité autour de la ferme,
dit l'anthropologue. Par exemple, certains maraîchers vont
planter des haies et des arbres autour des champs pour attirer
les oiseaux, creuser un étang pour attirer les couleuvres,
les chauve-souris et les grenouilles. Une femme productrice laitière
m'a dit la joie qu'elle ressentait de voir des chevreuils et
des renards dans le champ pendant qu'elle pressait le foin l'été.
En fait, pratiquement tous les gens que j'ai interrogés
portaient une attention particulière aux différents
organismes présents dans leur environnement.»
RENÉE LAROCHELLE
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