Désavantage numérique
Les parieurs qui croient que leur connaissance
du hockey peut les faire gagner aux loteries sportives scorent
dans leur propre filet
Ainsi donc vous êtes un maniaque de sport, vous consultez
quotidiennement les résultats des matchs de la veille,
les statistiques des joueurs et la liste des blessés de
chaque équipe de sorte que vous croyez pouvoir tirer profit
de votre expertise en misant un petit 5 $ de temps à autre
dans les loteries sportives de Loto-Québec? Illusion,
affirment des chercheurs de l'École de psychologie. Tout
comme le jeu de dés, le «pile ou face» ou
les loteries ordinaires, les paris sportifs sont des jeux de
hasard où l'expertise ne se traduit pas en gains monétaires,
démontrent Michael Cantinotti, Robert Ladouceur et Christian
Jacques, dans un article qui paraîtra bientôt dans
la revue scientifique Psychology of Addictive Behaviour.
Les trois chercheurs ont comparé l'exactitude des prédictions
faites par 30 habitués de Mise-O-jeu à celle d'une
sélection générée au hasard par un
programme informatique. À Mise-O-Jeu, les joueurs doivent
choisir l'une des trois issues possibles d'une partie (l'équipe
hôte gagne, perd ou annule). Sur chaque bulletin de participation,
le joueur doit miser sur trois à six parties, parmi un
choix d'une trentaine de rencontres. Pour gagner, toutes les
prédictions doivent être correctes. Loto-Québec
attribue une cote à chacune des trois issues possibles
d'une partie et les parieurs peuvent anticiper leurs gains en
multipliant leur mise par le produit des cotes associées
à chaque prédiction (ex.: 5 $ x (2,0 x 2,5 x 3,0)
= 75 $).
Dans leur article, les chercheurs de l'Université Laval
rapportent que les participants ont réussi à prédire
correctement l'issue de 47 % des 1 963 parties de hockey sur
lesquelles ils avaient été invités à
se prononcer, une performance supérieure au hasard qui
score correctement dans 33 % des cas. Les participants appuient
principalement leurs prédictions sur les résultats
récents des équipes en présence, sur l'avantage
de la patinoire dont profite l'équipe hôte et sur
les cotes attribuées aux équipes par Loto-Québec.
Toutefois, la supériorité des parieurs sur le hasard
pour prédire l'issue d'un match ne se traduit pas en espèces
sonnantes lorsqu'il faut choisir correctement la conclusion d'au
moins trois parties. En effet, le retour sur chaque pari de 2
$ était de 1,19 $ pour les joueurs - ce qui équivaut
au retour moyen de ce produit selon Loto-Québec - contre
1,57 $ pour le hasard. «Il est difficile de concevoir que
les paris sportifs comme Mise-au-Jeu sont des jeux de hasard
où les connaissances des parieurs ne sont d'aucune utilité.
Ça explique d'ailleurs une partie de leur succès»,
commente Michael Cantinotti.
Hasard et certitude
Selon le chercheur, deux éléments expliquent
comment l'expertise en vient à se diluer en pur hasard.
D'abord, même la pire équipe d'une ligue professionnelle
de sport peut, à l'occasion, vaincre la meilleure, et
il n'y a pas moyen de prédire où et quand ces surprises
peuvent survenir. Lorsqu'il faut prédire correctement
trois parties, l'exercice devient encore plus périlleux.
Deuxièmement, comme les prédictions évidentes
rapportent peu d'argent, les joueurs prennent des risques en
choisissant des équipes qui ne sont pas favorites. «Même
en sélectionnant toujours l'équipe que Loto-Québec
établit gagnante (celle qui a la cote la plus basse),
le retour sur l'investissement est négatif», signale
Michael Cantinotti.
L'information dont disposent les parieurs leur procure une illusion
de contrôle qui les incite à jouer puisqu'ils croient
être en mesure de prédire l'issue des matches, analysent
les chercheurs. D'ailleurs, 63 % des participants estimaient
que leurs bonnes connaissances du hockey faisaient d'eux de meilleurs
parieurs à Mise-O-Jeu. «Au moment où l'étude
a été faite, la mise en marché des paris
sportifs de Loto-Québec laissait faussement planer l'idée
que la connaissance du sport pouvait conduire à des gains
monétaires», souligne au passage Michael Cantinotti.
Il n'y a pas de système fiable pour gagner aux paris sportifs,
pas plus qu'il n'y a de parieurs habiles, conclut le chercheur.
«Il n'y a que des joueurs qui refusent d'admettre leurs
fausses prédictions, qui s'illusionnent en pensant que
ce n'est pas un jeu de hasard et qui croient qu'ils feront mieux
s'ils continuent à pratiquer.»
JEAN HAMANN
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