Crampes en masse
Un malaise archaïque teinte le discours
social sur les menstruations
Réalité fondamentalement féminine dont
le flot ne tarit pas depuis des millénaires, les menstruations
continuent d'être un phénomène biologique
perçu de façon négative dans notre société.
Tel est le constat que fait Karine Bertrand dans son mémoire
de maîtrise portant sur la représentation sociale
des menstruations, au terme d'une étude à laquelle
ont participé 106 personnes provenant de la région
de Québec (71 femmes et 35 hommes). «Actuellement,
le discours dominant autour des menstruations n'est pas si différent
de celui retracé dans le passé, explique l'étudiante
en psychologie. Les menstruations demeurent un symbole d'insalubrité
et de douleur. En fait, il existe un malaise archaïque autour
du thème des menstruations qui nous échappe encore.»
Pour les femmes comme pour les hommes, les menstruations sont
loin d'être considérées comme une partie
de plaisir. En effet, près de 54 % des répondants
s'entendent pour dire que les menstruations constituent une expérience
«déplaisante» ou «très déplaisante».
Si les aspects «plaisant» et «très plaisant»
sont carrément boudés, avec 3 % de répondants,
43 % d'entre eux jugent l'expérience «ni plaisante
ni déplaisante». L'irritabilité, la mauvaise
humeur et la fatigue figurent en tête de liste des sentiments,
comportements ou symptômes associés aux menstruations,
suivis des mots «douleur», «mal de ventre»,
«sensibilité», «embarras», «inconfort»,
«bien-être» et «mal de tête».
Les seins sensibles, les crampes, la déprime, l'humeur
changeante et la peur ferment le cortège. Fait à
noter, 75 % des répondants estiment que ces situations
sont le lot de la plupart des femmes menstruées.
Les mots pour le dire
Selon Karine Bertrand, le langage utilisé pour parler
des menstruations témoigne bien du malaise et de l'ambivalence
entourant le phénomène. On emploie le mot standard
(«menstruée»), on réfère à
la régularité des menstruations («règles»,
«période»), à l'objet employé
pour s'en accommoder («patchée») ou encore,
on les présente comme l'arrivée d'une visite («avoir
de la visite», «ma tante Sophie est en ville»).
De façon plus négative, on fait allusion à
la fréquence du phénomène, à un malaise
physique ou psychologique, à un problème économique
ou à l'abstinence sexuelle («pas encore»,
«malade», «indisposée», «SPM»,
«être de mauvaise humeur», «être
dans ses crottes», «être dans le rouge»,
«être non-disponible»). Face aux menstruations,
les hommes emploient parfois des expressions métaphoriques
qui renvoient aux aspects qui leur sont proches comme la sexualité,
l'économie ou la guerre («être non-disponible»,
«être dans le rouge», «les Anglais débarquent»).
Le discours autour des menstruations est plus négatif
chez les jeunes, devenant plus neutre et de plus en plus positif
quand l'individu atteint le seuil de la quarantaine. «De
tous les groupes d'âges, ce sont les moins de 25 ans qui
connotent les menstruations le plus négativement, révèle
Karine Bertrand. Ils parlent d'irritabilité, de mal de
ventre, d'embarras, d'humeur changeante et mauvaise humeur. Ils
semblent plus enclins à adopter une représentation
sociale des menstruations stéréotypée, à
la portée de ce que ressentent les jeunes qui n'envisagent
pas encore, du moins dans la société québécoise
actuelle, de fonder une famille et, de ce fait, de donner un
sens aux menstruations. Tout n'est vu que comme malaise, autant
chez les jeunes hommes que les jeunes femmes. Tout compte fait,
le stéréotype n'est-il pas là pour sécuriser
les personnes face à un thème qui leur fait peur,
qu'ils n'ont pas encore apprivoisé ou qui, tout simplement,
les dérange?»
RENÉE LAROCHELLE
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