Kant et le cosmos
François Dion, étudiant au doctorat
en philosophie, remporte le concours de vulgarisation scientifique
du magazine Découvrir
«L'audace du philosophe devant l'Univers.» Cette
formule pour le moins évocatrice titre le texte qui permettait
récemment à François Dion, étudiant
au doctorat en philosophie à l'Université Laval,
de remporter l'édition 2004 du concours de vulgarisation
scientifique de Découvrir, la revue de l'Association
francophone pour le savoir Acfas. Ce texte présente
les grandes lignes de la thèse que l'étudiant consacre
à la pensée cosmologique d'Emmanuel Kant, un philosophe
allemand du 18e siècle. Plus précisément,
François Dion met en évidence les intuitions, géniales
selon lui, de l'auteur d'un essai cosmologique étonnant
intitulé Histoire générale de la nature
et théorie du ciel. Le premier, Kant a avancé
l'hypothèse que les nébuleuses sont des galaxies
comme la nôtre, la Voie lactée. «Mais le plus
impressionnant pour moi, souligne-t-il, est que, le premier,
Kant a proposé un modèle de l'origine du système
solaire et de toutes les structures cosmiques à partir
de la théorie newtonienne de la gravitation. Ce modèle
veut que l'Univers se structure progressivement à partir
d'un état initial homogène.»
Un vulgarisateur né
Dès l'enfance, François Dion est attiré
par l'astronomie, cette science qui étudie les corps célestes.
Adolescent, il se découvre une autre passion qui vient
se mêler étroitement à la première:
la vulgarisation scientifique. Malgré son jeune âge,
il donne des conférences grand public sur l'astronomie.
Il travaille l'été comme guide-interprète
à l'ASTROLab du Parc national du Mont-Mégantic
où se trouve un observatoire. Il va même jusqu'à
fonder un club d'astronomes amateurs à Québec.
Puis, peu à peu sa vision des choses change. La connaissance
individuelle des planètes, des étoiles et des comètes
le laisse sur son appétit. Il a besoin d'élargir
son champ d'étude, de voir grand, très grand même
puisqu'il se sent attiré par l'Univers dans son ensemble.
Désormais, il réfléchit à des considérations
cosmologiques comme la théorie du Big Bang sur la création
de l'Univers, ou l'expansion de ce dernier. S'il se lance à
la même époque dans des études universitaires
de philosophie, c'est pour s'outiller sur le plan intellectuel
afin de pouvoir creuser à son aise les grandes questions
philosophiques reliées au cosmos. «La philosophie
appliquée à la cosmologie, indique-t-il, permet
de réfléchir à des sujets qui sont très
peu abordés par les scientifiques, comme la place de l'être
humain dans l'Univers.»
Selon François Dion, l'objet même de la cosmologie
s'avère particulièrement problématique.
«Les problèmes que rencontre cette science proviennent
du fait que l'Univers est unique, explique-t-il. Habituellement,
une loi scientifique s'élabore à partir de la comparaison
entre plusieurs objets d'un même type. Or, on ne peut comparer
l'Univers à un autre. De plus, nous sommes situés
à l'intérieur de cet univers, ce qui ne nous donne
accès qu'à une certaine portion d'espace et de
temps. On nous dit qu'il y a probablement quelque chose au-delà
de l'Univers observable. Mais aucune lumière ne nous parvient
de là. Puisqu'en cosmologie, on s'intéresse à
l'Univers dans son entier, il faut faire preuve d'audace et essayer
de théoriser sur le non observable, cette partie à
laquelle nous n'avons pas accès.»
Un rôle nécessaire
Le rôle du vulgarisateur en ce domaine s'avère
d'autant plus nécessaire que la science du cosmos est
devenue de plus en plus complexe. Selon François Dion,
les concepts scientifiques que l'on avance se rattachent de moins
en moins aux idées du sens commun, à la réalité
qui se manifeste au commun des mortels. «Dans la théorie
de la relativité, soutient-il, lorsqu'on parle de la contraction
du temps, cela n'évoque rien. C'est encore pire avec la
théorie quantique lorsqu'on parle de fonction d'onde.»
La cosmologie contemporaine a fini par confirmer les intuitions
audacieuses d'Emmanuel Kant. Mais sa plus grande contribution
aura été, selon François Dion, sa réflexion
sur les limites de la pensée humaine appliquée
à l'Univers. Ainsi, certains concepts ne fonctionnent
plus lorsqu'on les applique au cosmos. «Kant, dit-il, croyait
qu'il est impossible pour la pensée humaine de trancher
entre l'hypothèse d'un instant initial, donc d'un univers
fini dans le temps, et l'hypothèse d'un univers sans instant
initial, donc infini dans le temps. Selon lui, ce moment initial
ne l'est pas véritablement parce qu'il devait exister
quelque chose avant lui qui aurait permis à l'Univers
d'apparaître. Et la raison pour laquelle on ne peut pas
vérifier la deuxième hypothèse est tout
simplement qu'il faudrait à la pensée humaine un
temps infini pour vérifier que l'Univers est infini dans
le temps.»
YVON LAROSE
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