
De la mort et des restes humains
Les rites funéraires changent-ils toujours pour le
mieux?
«Moi j'aurais envie de faire brûler mon corps
comme le font les Tibétains, pour que mes proches m'entourent.
Qu'en pensez-vous?» La question a jailli spontanément
de la bouche d'un auditeur dès que la psychologue en soins
palliatifs et suivi de deuil Johanne de Montigny, chargée
de cours à l'UQAM, a ouvert la partie discussion de la
conférence qu'elle donnait le 5 mai au pavillon La Laurentienne,
un événement organisé par la Maison Michel-Sarrazin
et qui a fait salle comble.
D'une voix douce, la psychologue amène le quinquagénaire
à prendre conscience du fait que l'image d'un corps brûlé
peut poursuivre longtemps une sur, un fils, lorsqu'on n'a pas
été élevé dans la culture du bûcher
funéraire. Peut-être devrait-il en parler avec sa
famille afin de savoir comment ses survivants risquent de prendre
la chose?
La parole, le dialogue autour de la mort. Toute la philosophie
de Johanne de Montigny tient dans ce principe. Elle qui depuis
de nombreuses années accompagne les mourants dans une
unité de soins palliatifs l'hôpital Royal Victoria
à Montréal connaît l'importance des mots
et des rites lorsqu'une personne décède. Comme
psychologue recevant de nombreux endeuillés, elle constate
que les vivants éprouvent de plus en plus de difficultés
à faire face à la mort. «À trop vouloir
changer les rites et s'en affranchir, on ne permet plus au groupe
de recouvrer son identité et chacun s'isole dans sa douleur,
expliquer la conférencière. Peu à peu les
rites funéraires s'affadissent et deviennent si rapides
qu'ils ressemblent à des guichets automatiques.»
«C'est comme vous voulez!»
La conférencière en veut pour preuve cette publicité
pour une maison funéraire mettant l'accent sur la fête
entre survivants qui accompagne les funérailles, sans
évoquer la douleur et la peine entourant la perte d'un
être cher. En écoutant parler ses patients, elle
constate que nombre d'entre eux éprouvent des difficultés
à surmonter leur deuil car ils ne peuvent se détacher
de la personne décédée. Elle rapporte ainsi
le cas de parents qui ont souffert d'insomnie pendant des mois
alors que l'urne funéraire contenant les restes de leur
fils décédé brusquement à 20 ans
se trouvait dans leur chambre à coucher. Ou de cette dame
qui a longtemps refusé de se laver les cheveux après
que le vent ait rabattu vers elle les cendres de son époux.
«En l'absence d'un lieu de recueillement précis,
la personne disparue se trouve à la fois partout et nulle
part, on ne trace plus précisément la frontière
entre la vie et la mort, explique la psychologue. Le rite funéraire
sert justement à dire au revoir au mort.»
Consciente du fait que les Québécois cherchent
aujourd'hui des rites funéraires davantage conformes aux
valeurs d'aujourd'hui, elle conseille toutefois d'agir avec prudence
dans ce domaine. Évoquant sa propre expérience
avec sa mère récemment disparue, elle constate
le réconfort que procure la pratique d'un rite lorsqu'il
s'agit de partager sa peine et de prendre congé d'une
personne disparue. Elle suggère ainsi au public de profiter
des funérailles pour lire des textes en rapport avec le
défunt, que ce soit de façon religieuse dans une
église ou de manière laïque au salon funéraire,
mais surtout de se rassembler pour éviter de s'isoler
dans sa peine. Bien des choses restent à inventer dans
ce domaine en autant que les funérailles soient en conformité
avec les besoins des proches et la vision qu'en avait le principal
intéressé avant son décès.
PASCALE GUÉRICOLAS
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