Un agent très spécial
La souche bactérienne UL719, isolée
dans les labos du Centre STELA, pourrait servir d'agent de conservation
des aliments et d'antibiotique
Des chercheurs du Centre de recherche en sciences et technologie
du lait (STELA) ont isolé, dans du fromage au lait cru,
une souche bactérienne qui produit un composé -
la nisine - agissant comme agent de conservation biologique.
Cette souche, appelée UL719, produit deux fois plus de
nisine que la souche de référence présentement
utilisée par l'industrie. Ses propriétés
antibactériennes laissent entrevoir un potentiel élevé
non seulement pour la conservation des aliments, mais aussi pour
la lutte aux infections bactériennes chez les animaux
et les humains.
Lorsque les chercheurs de STELA ont entrepris d'isoler des souches
plus productives en bactériocines, ils se sont tournés
vers les bactéries contenues dans le fromage au lait cru
"parce que, comme ce lait n'a pas été pasteurisé,
il contient une microflore très riche", fait valoir
le responsable des travaux, Ismail Fliss. C'est ainsi qu'ils
ont mis le grappin au collet de la souche UL719 de la bactérie
Lactococcus lactis, qui présente l'avantage de
croître dans du lactosérum, un sous-produit peu
coûteux de l'industrie laitière.
De plus, l'équipe du professeur Fliss a mis au point un
procédé efficace pour cultiver cette bactérie
et pour en isoler le composé actif. «La purification
traditionnelle de la nisine donne un rendement de 11 % alors
qu'on obtient 80 % avec notre approche. De plus, comme nous n'utilisons
pas de solvants pour purifier la nisine, le produit final est
de grade alimentaire, c'est-à-dire qu'il ne pose pas de
problème pour la consommation humaine», a fait valoir
Ismail Fliss, lors du Colloque sur la bioconservation des produits
marins, présenté les 4 et 5 mai à l'Université.
20 000 $ le kilo
La nisine fait partie des bactériocines, une famille
qui regroupe de petites molécules antibiotiques produites
par les bactéries. L'industrie alimentaire mise de plus
en plus sur ces composés pour répondre aux exigences
des consommateurs préoccupés par les méfaits
des agents de conservation traditionnels. Contrairement aux additifs
chimiques, réputés cancérigènes,
et au sel, dont les méfaits sur le système circulatoire
sont bien documentés, les bactériocines peuvent
revendiquer le titre d'agents de conservation biologiques.
Le hic est que, en conditions normales, les bactéries
produisent des bactériocines au micro compte-gouttes;
les rares entreprises qui commercialisent la nisine pure la vendent
d'ailleurs au coût de 20 000 $ le kilo. «En utilisant
la souche UL719 et notre procédé, nous pourrions
produire de la nisine à un coût beaucoup plus bas»,
affirme le professeur Fliss, sans toutefois avancer de chiffres.
Les chercheurs de STELA ont entrepris des démarches afin
de breveter l'utilisation de la souche UL719 pour la production
de bactériocines. Déjà, des compagnies américaines
et canadiennes des domaines alimentaire et pharmaceutique ont
contacté Ismail Fliss pour en apprendre davantage sur
ce procédé. La nisine est la seule bactériocine
autorisée comme agent de conservation à travers
le monde. On l'utilise pour prolonger la conservation des produits
laitiers, des fruits, des légumes, de la viande et de
produits fermentés, notamment la bière. Depuis
1988, 50 pays en ont légalisé l'usage, mais le
Canada ne figure pas sur cette liste. «Il suffit qu'une
compagnie en fasse la demande et l'autorisation devrait être
accordée, estime Ismail Fliss. Ce n'est plus qu'une question
de temps.»
JEAN HAMANN
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