
Une belle histoire d'anoures
L'étudiant-chercheur Marc Mazerolle s'est
penché avec passion sur le déclin des populations
d'amphibiens
Marc Mazerolle ne conduit plus son automobile de la même
façon. Surtout les soirs d'été lorsque la
température est à la pluie. S'il roule plus lentement
et si son regard fixe davantage la chaussée qu'il y a
quelques années, ce n'est pas parce qu'il est sorti vivant
d'un grave accident ou qu'il s'assagit avec l'âge. C'est
tout simplement qu'il veut éviter d'écraser des
amphibiens. «Lorsque j'en vois sur la route, il m'arrive
de m'arrêter pour les aider à traverser»,
confesse l'étudiant-chercheur du Centre de recherche en
biologie forestière.
Cette étrange habitude ne résulte pas d'une aversion
pathologique pour l'«écrapou de grenouille».
Chez ce Néo-Brunswickois, il s'agit plutôt d'une
déformation professionnelle puisqu'il a répété
ce geste des centaines de fois dans le cadre d'études
sur les amphibiens qu'il a menées au bac, à la
maîtrise et au doctorat.
Originaire de Saint-Louis-de-Kent, Marc Mazerolle a grandi avec
le parc Kouchibouguac dans sa cour arrière. Faire des
études universitaires en biologie est donc venu naturellement
à ce passionné de la faune qui s'intéressait
surtout aux poissons, jusqu'à ce qu'un emploi d'été
mette les amphibiens sur sa route. «Ça a été
une révélation pour moi. On sait tellement peu
de choses de ces animaux. C'était une terre inconnue qui
m'a tout de suite fasciné», raconte-t-il.
Petit crapaud
Selon l'étudiant-chercheur, deux raisons expliquent
cette méconnaissance des amphibiens. Premièrement,
ils suscitent peu d'engouement parce qu'ils n'ont pas le charme
des animaux à plume ou à poil. «Pour ma part,
je les trouve charmants, jusqu'à un certain point, nuance-t-il
toutefois. Un petit crapaud, c'est mignon.» Deuxième
raison, non seulement la nature les a-t-elle dotés d'un
physique ingrat, mais en plus, elle leur a donné de drôles
d'habitudes de vie qui les rendent peu commodes à étudier.
«Ils sont nocturnes et ils s'activent surtout lorsqu'il
pleut. Pour les étudier, il faut adopter leur rythme de
vie», explique l'étudiant-chercheur.
Chaque année depuis 1995, Marc Mazerolle épouse
donc les moeurs des anoures (crapauds, grenouilles, rainettes et
ouaouarons), des tritons et des salamandres pour amasser des
données sur les populations d'amphibiens du parc Kouchibouguac.
Il vient d'ailleurs de publier, dans la revue scientifique Herpetologica,
un article sur l'impact de l'intensité de la circulation
routière sur la mortalité des amphibiens. Pour
cette étude, il a dû parcourir en voiture, à
15 km/h, pendant 37 nuits pluvieuses, le même tronçon
de 20 km de la route 117, qui traverse le parc. Lors de ces virées
nocturnes, il s'est arrêté à 4 643 reprises
pour identifier les amphibiens écrasés ou bien
portants croisés sur son trajet. Lorsque la bestiole
était vivante, il prenait soin de la déposer sur
l'accotement, histoire de lui éviter le passage rapide
et brutal vers un monde à deux dimensions.
«La circulation routière est l'une des causes avancées
pour expliquer le déclin mondial des populations d'amphibiens
survenu à partir de la fin des années 1970, note
Marc Mazerolle. Lorsqu'une auto fonce vers eux, les amphibiens
s'immobilisent et attendent. Comme il y a maintenant des routes
partout, c'est devenu un sérieux problème.»
L'étudiant-chercheur ne se leurre pas sur la décision
que prendrait une population appelée à choisir
entre un projet de route et la sauvegarde de quelques grenouilles
coassant dans un marais de joncs mauvais. «Il n'est pas
question d'empêcher la construction de routes, mais plutôt
de faire les choses différemment», plaide-t-il.
Par exemple, il faut éviter qu'une route vienne couper
les corridors de migration qui relient les habitats de printemps,
d'été et d'hiver des amphibiens (distants de un
à cinq kilomètres). «Si la chose est infaisable,
il faut installer des ponceaux sous la route pour leur permettre
de traverser en sécurité.»
L'idée de faire les choses différemment s'impose
également au terme de ses recherches doctorales, menées
sous la codirection des professeurs André Desrochers et
Line Rochefort, qu'il a consacrées à l'influence
du prélèvement de la tourbe sur les déplacements
des amphibiens. «Pour assurer le maintien des populations
d'amphibiens dans ces habitats, il faudrait maintenir une zone
verte autour des complexes d'étangs des tourbières
exploitées», fait-il valoir.
Double vie
Les amphibiens ont deux vies, l'une aquatique et l'autre
terrestre, ce qui rend leur conservation particulièrement
complexe, observe Marc Mazerolle. Les Européens ont plusieurs
longueurs d'avance en ce qui touche les mesures de protection
des ces grenouillantes espèces. «Là-bas,
les populations d'amphibiens sont rares, de sorte qu'on apprécie
davantage leur valeur écologique. Ici, comme il y en a
encore beaucoup, on ne se pose pas ce genre de questions. Il
faudrait pourtant faire quelque chose avant d'en être rendus
là nous aussi.»
Marc Mazerolle déposera bientôt sa thèse
de doctorat. Aussitôt ce travail complété,
il migrera vers le Sud pour un post-doctorat au Patuxent Wildlife
Research Center du Maryland. Là-bas, il espère
compléter la métamorphose qui mettra un terme à
sa vie d'étudiant et qui le conduira à la vie de
professeur universitaire à laquelle il aspire. «J'aimerais
continuer à étudier les amphibiens et partager
mes connaissances avec les étudiants.» En matière
de vie amphibie, peut-on espérer mieux que l'enseignement
et la recherche?
JEAN HAMANN
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