
Carnet de voyage au bout de la nuit
Une démarche novatrice aide des ados
délaissés par leur famille à voir un peu
plus clair dans leur vie
Placée dans un Centre jeunesse depuis plusieurs mois,
Julie, 14 ans, espère bien que sa mère lui enverra
une carte pour son anniversaire de naissance, comme elle le lui
a promis. Ces souhaits qu'elle attend si ardemment, Julie ne
les recevra pourtant jamais. Sa mère n'a pas respecté
sa promesse. Et ce n'est pas la première fois! Il y a
eu cette sortie prévue à Noël qui ne s'est
jamais concrétisée, et ce projet d'aller manger
au restaurant qui est tombé à l'eau, sa mère
ne s'étant jamais présentée au rendez-vous.
Julie est en colère. Julie en veut à la terre entière.
Julie se sent abandonnée.
Julie fait partie des 500 enfants en situation d'abandon qui
sont recensés annuellement par l'Association des Centres
Jeunesse du Québec. Pour aider non seulement ces jeunes
à clarifier la situation mais aussi leurs parents à
mieux définir leur rôle auprès de l'enfant,
une équipe composée de chercheurs universitaires
et d'intervenants du CJQ-IU (Centres jeunesse Québec-Institut
universitaire) a conçu une démarche tout à
fait novatrice intitulée "Carnet d'un voyage à
travers ma vie", où le jeune est invité par
exemple à "faire escale" sur ses histoires de
placements et de déplacements, ses stratégies pour
traverser les difficultés de la vie, les perceptions de
son entourage. Lors de la 4e conférence canadienne sur
les problèmes de comportement qui a eu lieu les 6 et 7
mai au pavillon Alphonse-Desjardins, Sylvie Drapeau, professeure
à la Faculté de sciences de l'éducation,
a présenté les résultats obtenus lors d'une
étude évaluative réalisée auprès
de la clientèle, soit 40 jeunes âgés entre
14 et 17 ans n'ayant pas ou peu de perspective de retour avec
leurs parents.
«J'ai peur de perdre ma mère»
Sur 40 jeunes, 11 ont abandonné en cours de route,
en majorité des garçons, des jeunes en centre de
réadaptation (en comparaison avec les jeunes en familles
d'accueil) et des jeunes présentant des troubles de comportement.
Sur les jeunes ayant complété le carnet, 39 %
croyaient n'avoir aucune chance de retourner dans leur famille,
35 % estimaient le contraire, et 17 % ne le savaient pas. Se
sentent-ils abandonnés? 65 % des jeunes affirmaient qu'ils
n'étaient pas abandonnés ("Non mais des fois
ma mère me chicane. J'ai peur de la perdre"), 17
% croyaient l'être ("Ma mère ne me téléphone
pas. Je dois faire des démarches pour la rejoindre")
et 17 % disaient que ça dépendait des circonstances
et des personnes. Interrogés de leur côté,
les parents ne se reconnaissaient pas nécessairement dans
le terme abandon. Ils maintenaient des contact avec leur adolescent
et ne considéraient pas l'avoir abandonné. Enfin,
la très grande majorité des jeunes ont trouvé
l'écriture du carnet de voyage plutôt positive et
ont trouvé que l'expérience les avait aidés
à clarifier certains aspects de leur vie. «J'avais
commencé mon carnet l'an passé, mais je l'ai pas
fini car j'arrêtais pas de fuguer. Cette année,
je l'ai fini puis je suis bien contente.» D'autres ont
trouvé la démarche éprouvante. «J'ai
trouvé bouleversant de retourner dans mon passé.
Il y avait des choses cachées. L'escale 3, les déplacements
et les déplacements ouf heureusement que je pouvais en
parler.»
«En général, les jeunes ont identifié
plusieurs changements positifs résultant de leur participation
à l'intervention, a expliqué Sylvie Drapeau. En
plus de mieux se connaître, ils ont davantage confiance
en eux. Ils ont clarifié les relations avec les personnes
importantes pour eux, ce qui signifie un rapprochement avec la
famille pour certains et des attentes plus réalistes envers
elle pour d'autres. Plusieurs ont trouvé une certaine
paix intérieure».
RENÉE LAROCHELLE
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