
L'effet miroir
Trois chercheurs du CERPIC solutionnent une
énigme qui entravait le développement de la chimie
des surfaces depuis 25 ans
En 1957, une firme allemande a mis en marché un médicament
qui faisait des prodiges comme tranquillisant. Peu de temps après,
ses fabricants lui ont découvert d'autres vertus, notamment
contre les nausées chez la femme enceinte. Dans les années
qui ont suivi, entre 10 000 et 20 000 femmes de 46 pays qui avaient
consommé ce médicament - la thalidomide - ont donné
naissance à des enfants handicapés. L'enquête
qui a suivi a démontré que la cause de ce drame
est attribuable à un caprice de la chimie: la thalidomide
existe sous deux formes (des composés énantiomorphes),
dont l'une est l'image miroir de l'autre. Or, si la première
est inoffensive, l'autre provoque des mutations génétiques
graves.
Ce n'est donc pas par pure fantaisie que les chimistes s'évertuent
à trouver des moyens pour synthétiser des produits
qui contiennent une forme donnée d'une molécule
plutôt que son image miroir. Bien que la chimie des solutions
dispose déjà de nombreuses avenues pour y arriver,
les chimistes, toujours en quête de moyens plus efficaces
et plus économiques de faire les choses, rêvent
de tirer profit des avantages de la chimie des surfaces pour
atteindre le même but. L'approche par chimie des surfaces
présente deux avantages significatifs: elle ne nécessite
pas d'étape finale pour séparer les produits et
le catalyseur et elle affiche un taux d'efficacité dépassant
95 % pour les quelques réactions connues.
Le hic est que, depuis 25 ans, la compréhension de la
mécanique des réactions qui permettent de synthétiser
des composés énantiomorphes par chimie des surfaces
piétine. En dépit du fait que de nombreuses équipes
travaillent sur la question à travers le monde, on ne
sait tout simplement pas comment fonctionne la mécanique
de ces réactions.
Peter McBreen, Marc-André Laliberté et Stéphane
Lavoie, du Département de chimie de l'Université
Laval, pourraient bien avoir réussi à lever cette
embûche. Dans un article qu'ils viennent de publier dans
le Journal of the American Chemical Society, les trois
chercheurs, membres du Centre de recherche sur les propriétés
des interfaces et la catalyse (CERPIC), décrivent comment
ils ont utilisé des techniques sophistiquées de
la science des surfaces pour décortiquer les étapes
clés d'une réaction qui conduit à la production
de composés énantiomorphes à la surface
de platine modifié. «Nous croyons que le mécanisme
que nous proposons pour cette réaction peut être
extrapolé aux autres réactions du même type»,
avance l'étudiant-chercheur Stéphane Lavoie.
L'American Chemical Society a salué la découverte
de Peter McBreen et de ses étudiants par l'entremise de
sa publication Chemical & Engineering News, lue par
quelque 160 000 chimistes. L'article, qui faisait également
mention de travaux réalisés à UCLA, à
l'Université de Cambridge et à l'ETH de Zurich,
dressait le bilan des découvertes importantes réalisées
récemment dans ce secteur. Les travaux des trois chercheurs
du CERPIC touchent un domaine névralgique de la chimie
puisque les applications industrielles et pharmaceutiques de
la production de composés énantiomorphes représentent
un chiffre d'affaires annuel de plusieurs milliards de dollars.
JEAN HAMANN
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