
Le soin de l'âme
Le médecin-écrivain Jean Désy
entend mettre la littérature au service de la compassion
"Souffrance, littérature et humanisme". Voilà
le titre sans ambiguïté du cours que proposera le
médecin-écrivain Jean Désy l'automne prochain
aux étudiants de la Faculté de médecine
et aussi à l'ensemble des étudiants de l'Université
Laval. "La compassion constitue une donnée plus fondamentale
que jamais, mais elle ne s'enseigne pas scientifiquement",
affirme Jean Désy avec force. À l'entendre, le
système actuel de santé souffre parfois du manque
de jugement du personnel soignant. Moniteur depuis quelques sessions
auprès des étudiants de la Faculté de médecine
qui se frottent aux réalités des cas cliniques,
le praticien constate que nombre d'entre eux possèdent
des qualités humaines indéniables. Les choses se
gâtent pourtant selon lui plus tard, lorsque leur formation
les conduit à s'appuyer davantage sur des données
techniques que sur leur jugement pour soigner les malades. Comme
médecin exerçant fréquemment dans le Nord,
Jean Désy a trop vu de jeunes diplômés brusquer
sans le vouloir des patientes inuites lors d'un examen gynécologique,
simplement parce qu'ils ignoraient que les règles de pudeur
dans cette société différaient des nôtres.
Jean Désy a mis plusieurs années à concocter
ce cours, chapeauté par la Faculté de médecine,
qui a a pour objectif d'orienter la préoccupation médicale
vers l'humain à l'aide d'incontournables de la littérature
francophone. "À travers un roman comme La peste
de Camus, on peut faire des parallèles avec les pandémies
actuelles ou s'arrêter à la grande humanité
du personnage du docteur Rieux, explique l'enseignant. Cela montre
qu'il existe rarement des réponses tranchées sur
l'avortement, les soins à apporter ou non aux personnes
âgées, l'euthanasie" À ses yeux, la
littérature constitue un formidable moyen pour se rapprocher
du monde des humains et permettre aux futurs soignants d'affiner
leur jugement. Une façon aussi pour les étudiants
en médecine de contrer les effets de la dérive
scientiste et technique qui, selon le praticien, sévit
actuellement en Occident.
Des lettres et des chiffres
"La littérature présente un contrepoids
aux excès de la technologie qui pourrait nous conduire
à soigner comme des robots, précise Jean Désy.
Elle nous permet d'aller plus loin que le poncif selon lequel
il faut s'aimer les uns les autres." L'enseignant a ainsi
prévu de faire étudier les Contes anglais
du docteur Jacques Ferron. Dans une des nouvelles, un médecin
héroïnomane doit choisir entre s'injecter sa dernière
dose de drogue ou la donner à son cheval mourant pour
atténuer ses souffrances. Un épisode dramatique
qui rapproche les étudiants de l'apprentissage d'âme
à âme prôné par Ferron, mais aussi
qui leur fait prendre conscience de la détresse que vivent
parfois les médecins. Durant le cours, Jean Désy
abordera aussi Madame Bovary, de Gustave Flaubert, en
s'intéressant particulièrement à son époux,
médecin de campagne. D'autres oeuvres pourront s'ajouter,
notamment en poésie. Déjà, une vingtaine
d'étudiants ont choisi ce cours pour l'automne et, parmi
eux, quelques-uns ne se destinent pas à la médecine.
Comme quoi la littérature a le don de rapprocher les humains
PASCALE GUÉRICOLAS
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