
Surprises sous la banquise
La mission scientifique de l'Amundsen livre ses
premières découvertes
Les premiers mois de la mission scientifique de l'Amundsen
- le navire de recherche océanographique qui a quitté
Québec le 5 septembre dernier - ont produit leur lot de
découvertes. Dans un courriel adressé depuis le
navire encore prisonnier des glaces arctiques dans la baie de
Franklin, le grand responsable de l'expédition, le professeur
Louis Fortier, du Département de biologie, fait état
de trois découvertes qui viennent chambouler les idées
reçues.
Contrairement aux conclusions de quelques études
hivernales antérieures, les données amassées
depuis quelques mois par l'équipe de CASES (Canadian Arctic
Shelf Exchange Study) montrent que "les processus biologiques
et les interactions écologiques entre les végétaux
et les animaux qui vivent dans cet écosystème du
bout du monde ne s'arrêtent pas au cours des longs mois
d'hiver", écrit Louis Fortier. "D'abord, le
zooplancton migre de la surface vers le fond au moment où
la banquise se forme à l'automne et il demeure actif même
à ces profondeurs où nulle lumière ne parvient.
Même si la production végétale y est stoppée
faute de lumière, les herbivores utilisent leurs réserves
internes pour produire leurs oeufs. Les carnivores et les détritivores
demeurent eux aussi très actifs." Le gaz carbonique
produit par tous ces organismes demeure séquestré
dans les profondeurs océaniques, de sorte que leur contribution
à la prévention de l'effet de serre est peut-être
plus grande que ce qui était prévue dans la plupart
des modèles climatologiques, résume le chercheur.
Énigmatiques morues
Deuxième découverte significative, les chercheurs
ont solutionné l'énigme des morues arctiques manquantes.
Distante cousine de la morue franche, la morue arctique joue
un rôle clé dans l'écosystème marin
nordique puisqu'elle figure au menu des phoques, des bélugas,
des narvals, des grandes baleines et des oiseaux marins, précise
Louis Fortier. "L'analyse du contenu stomacal de ces prédateurs
indiquait clairement que ce petit poisson devait être au
moins dix fois plus abondant qu'on parvenait à détecter",
souligne-t-il. Grâce à des échosondeurs très
puissants, les chercheurs de l'Amundsen ont découvert
que les phoques annelés plongeaient régulièrement
jusqu'à 180 mètres de profondeur pour y effectuer
des razzias dans des bancs de poissons qui se sont révélés
être des morues arctiques. Cette espèce se réfugie
donc près des fonds marins pendant les mois d'hiver.
"La banquise elle-même est un milieu écologique
encore très mal connu où des organismes hyper-spécialisés
affrontent des conditions de température et de salinité
extrêmes", ajoute Louis Fortier. D'ailleurs, les chercheurs
ont démontré que, même si la banquise fait
de 2 à 5 mètres d'épaisseur, elle n'est
pas imperméable aux gaz. "La banquise absorbe des
quantités importantes de gaz carbonique, un des principaux
gaz à effet de serre, souligne le chercheur. Ces résultats
étonnants nous obligeront probablement à revoir
certains aspects des modèles climatiques qui tentent d'anticiper
l'impact d'une disparition progressive de la banquise sur le
climat de l'Hémisphère Nord. Nous essayons maintenant
d'élucider le rôle que jouent les micro-algues qui
se développent dans la glace, dans ce captage du gaz carbonique
atmosphérique."
Plus de 200 chercheurs d'une dizaine de pays participent aux
travaux menés à bord de l'Amundsen. Ce vaste chantier
international vise à mieux cerner l'impact du réchauffement
climatique sur l'écosystème arctique. Dirigé
par l'Université Laval, ce projet constitue la plus importante
mission scientifique canadienne jamais réalisée
en océanographie arctique.
JEAN HAMANN
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