
Lecture
Ce n'est pas sorcier!
Selon Louis Roussel, le monde «merveilleux»
de Harry Potter ressemble étrangement au nôtre
L'univers des sorciers dans lequel évolue Harry Potter
est peut-être éclaté, mais ce monde merveilleux
possède toutefois un cadre social rigide et structuré
qui s'apparente à notre société occidentale
«bien ordinaire». «Le capitalisme, le gouvernement
et les médias constituent les fondements de l'organisation
sociale des sorciers», estime Louis Roussel, qui a lu et
relu les cinq tomes de la célèbre série
en chaussant ses lunettes de chercheur en littérature.
«Le seul fait de retirer un seul de ces fondements signifierait
la fin de l'ordre et de la paix sociale dans la communauté
imaginée par J.K. Rowling», dit l'étudiant,
qui a présenté le résultat de ses premières
virées littéraires dans le monde potérien
lors du colloque des jeunes chercheures et chercheurs de 2e cycle
du Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature
et la culture québécoises (CRILCQ) qui a eu lieu
récemment.
Ainsi, le premier véritable contact de Potter avec les
sorciers ne s'effectue pas dans une forêt hantée
mais dans une rue bordée de commerces, le Chemin de Traverse.
Dissimulée au cur de Londres, cette allée commerciale
propose tout ce qu'un sorcier peut désirer: des livres,
des baguettes magiques, des hiboux, des balais, des habits de
sorciers, des foies de chauve-souris, des télescopes,
etc. Les sorciers possèdent aussi leur propre système
monétaire divisé en trois unités: le Gallion
d'or, la Mornille d'argent et la Noise de bronze. «Chez
les sorciers, rien n'est gratuit, souligne Louis Roussel. Chaque
objet a un prix. L'immense popularité de la loterie annuelle
du Gallion illustre également le pouvoir d'attraction
de l'argent auprès du sorcier moyen.»
Une vie réglée à la baguette
Si les deux premiers tomes de l'oeuvre ne font que de vagues
allusions au gouvernement des sorciers, les choses changent avec
le troisième tome, Le prisonnier d'Azkaban, où
se profile nettement le ministère de la Magie, avec à
sa tête Cornelius Fudge. Solide pouvoir institutionnalisé,
ce gouvernement comporte d'innombrables divisions réglementant
la vie des sorciers: les transports (Service de régulation
des balais); les inventions (Bureau des brevets saugrenus); les
sports (Département des jeux et sports magiques); les
sortilèges dangereux (Commission des sortilèges
abusifs) et enfin, les accidents (Brigade de réparation
des accidents de sorcellerie). Sans compter pas moins de 35 ramifications
déguisées en départements, commissions,
agences et services. En somme, l'univers de Harry Potter est on
ne peut plus encadré.
Les moyens d'information dont disposent les sorciers sont nombreux:
Sorcière Hebdo, Le Mensuel de la Métamorphose,
Balai Magazine, Le Chicaneur, pour ne citer que
ces exemples aux noms évocateurs. Comme dans le monde
des lecteurs de Harry Potter, l'univers des sorciers n'échappe
pas à la manipulation par les médias, certains
personnages se servant du "système" pour arriver
à leurs fins. C'est le cas de Gilderoy Lockhart dont les
livres prétendument autobiographiques servent de vitrines
publicitaires. En plus de le consacrer héros, le procédé
permettra à Lockhart d'accéder à un poste
d'enseignant, pour lequel il ne possède aucune qualification.
«Ce pouvoir qu'ont les médias de transformer un
personnage en véritable vedette peut s'opérer en
sens inverse, remarque Louis Roussel. L'acharnement d'un quotidien
peut grandement entacher la réputation d'un sorcier innocent
de tout crime. Harry Potter a ainsi droit à une véritable
campagne de diffamation publique de la part de La Gazette
du sorcier. Pressée par le ministère
de la magie d'évincer Harry Potter du monde des sorciers,
La Gazette accumule un nombre considérable d'articles
nuisant à la réputation de Harry. Au pouvoir de
l'État se joint celui des médias.» Selon
le chercheur, le tour de force de J.K. Rowling est sans doute
d'avoir su arrimer rationnel et merveilleux, avec le résultat
spectaculaire qu'on connaît (250 millions d'exemplaires
vendus dans le monde). Car sous bien des aspects, le monde «merveilleux»
de Harry Potter n'est pas si merveilleux qu'il en a l'air.
RENÉE LAROCHELLE
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