
Le gène de la faim
Des chercheurs de Laval identifient le premier
gène qui affecte des comportements alimentaires directement
reliés à l'obésité
Une équipe multidisciplinaire de l'Université
Laval vient de découvrir le premier gène influençant
des comportements alimentaires qui prédisposent à
l'obésité. Le gène en question code pour
une hormone qui aurait un impact sur la susceptibilité
à la faim et sur la surconsommation d'aliments en réponse
au stress ou aux stimuli sociaux (désinhibition alimentaire).
"On savait que ces comportements avaient une influence sur
l'obésité. On savait également que certains
facteurs liés à l'obésité ont une
composante génétique. Mais, à notre connaissance,
notre étude apporte la première démonstration
d'un lien entre un gène et des comportements alimentaires
qui favorisent l'obésité", souligne le responsable
de l'équipe de recherche, Louis Pérusse, de la
Faculté de médecine.
Les chercheurs ont repéré ce gène en établissant
un lien statistique entre certaines séquences du génome
de 660 sujets et les scores que ceux-ci avaient obtenus à
un test standard de comportements alimentaires (Three-Factor
Eating Questionnaire). Le gène, situé sur le
chromosome 15, code pour une toute petite protéine, l'hormone
neuromédine-B, qui atténuerait la faim. D'ailleurs,
des recherches antérieures ont montré que la neuromédine-B
agit sur la prise alimentaire chez les animaux. "Des études
d'inactivation de ce gène ont produit des résultats
peu concluants chez les animaux, précise toutefois l'étudiant-chercheur
Luigi Bouchard. Cette piste a donc été abandonnée
de sorte qu'on sait très peu de chose sur la fonction
de la neuromédine-B chez l'humain."
«Nos résultats montrent clairement
que la génétique influence les comportements alimentaires.
Certaines personnes n'ont tout simplement pas un contrôle
total sur leur faim.»
Mutation à risque
Grâce à une analyse génétique
détaillée, Luigi Bouchard, Louis Pérusse,
Vicky Drapeau et Angelo Tremblay, du Centre de recherche de l'Hôpital
Laval, leurs collègues Véronique Provencher, Simone
Lemieux, Marie-Claude Vohl, du Centre de recherches sur les maladies
lipidiques, et Claude Bouchard, de la Louisiana State University,
ont démontré que 9 % des sujets étudiés
étaient porteurs d'un gène muté de la neuromédine-B.
Les personnes qui possèdent deux copies du gène
muté sont deux fois plus à risque d'avoir des niveaux
élevés de déshinibition alimentaire et de
susceptibilité à la faim que les sujets "normaux".
De plus, un suivi sur une période de six ans de ces sujets
a révélé que les porteurs de la mutation
avaient gagné deux fois plus de masse grasse que les autres
participants, a également révélé
Luigi Bouchard, lors d'une conférence présentée
le 23 avril, dans le cadre de la Journée scientifique
du Centre de recherche de l'Hôpital Laval.
La découverte des chercheurs ouvre de nouveaux horizons
sur la compréhension et le traitement de l'obésité.
"Plusieurs croient que les obèses sont responsables
de leur condition, fait valoir Luigi Bouchard. Or, nos résultats
montrent clairement que la génétique influence
les comportements alimentaires. Certaines personnes n'ont tout
simplement pas un contrôle total sur leur faim." L'étudiant-chercheur
ne craint pas pour autant que l'existence d'un gène qui
agit sur les comportements alimentaires serve d'excuse aux obèses.
"Au contraire, si une personne connaît sa condition
génétique, il y a de fortes chances pour qu'elle
adopte des comportements qui permettront d'en contrer les effets
négatifs."
À plus long terme, Louis Pérusse n'écarte
pas la possibilité que la neuromédine-B serve de
cible de traitement chez les personnes qui souhaitent perdre
du poids. Faut-il rappeler que l'une des principales causes d'échec
des régimes amaigrissants est l'irrépressible sensation
de faim ressentie par les gens qui restreignent leur prise alimentaire?
JEAN HAMANN
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