Sociologie
Les ailes de la mode
De 1945 à 2000, la garde-robe féminine
a pris son envol vers la liberté
De la période d'avant-guerre jusqu'au début
des années 1960, les couturiers détenaient un grand
pouvoir sur les femmes: celui de décider ce qui devait
être porté ou pas. À cette époque,
la marge de manoeuvre laissée à celles souhaitant
être à la mode et respecter les conventions sociales
était mince. Si les femmes en mènent aujourd'hui
plus large et ne se laissent plus dicter leur conduite en la
matière, la mode est un phénomène qui en
dit long sur la société.
"Il y a toujours un lien entre les changements sociaux et
les tenues vestimentaires", explique Françoise Dulac,
qui s'est penchée sur l'évolution de la mode féminine
de 1945 à 2000, dans sa thèse de doctorat en sociologie.
"Les signes et les symboles dans les tenues vestimentaires
évoluent mais restent toujours présents dans la
construction de l'identité. Il faut décoder les
messages mais aussi savoir transmettre les informations souhaitées."
Dans les années 1950, les femmes au foyer ayant la chance
d'avoir un mari qui rapporte un bon salaire se distinguent socialement
en portant des vêtements coûteux achetés dans
les grands magasins. Les femmes de condition plus modeste, soit
la grande majorité, se rabattent sur leur machine à
coudre et reproduisent les modèles convoités. Changement
de cap au milieu des années 1960 alors que les rues sont
le théâtre de manifestations menées par des
femmes qui brandissent leurs soutiens-gorge en signe de rébellion
aux carcans de toutes sortes qu'on leur impose. Le marché
du travail s'ouvrant à elles, les femmes délaissent
progressivement la robe pour le pantalon. "Les années
1970 seront celles de l'expérimentation, souligne Françoise
Dulac. C'est le début de la personnalisation vestimentaire
qui coïncide avec la période où chacun commence
à devenir responsable de sa vie, homme ou femme. Spécifiquement,
la nouveauté consiste à adopter des styles vestimentaires
de différents peuples du monde et de les mélanger."
Une quête identitaire
Dans les années 1980, le vêtement perd de son
pouvoir de différenciation sociale au profit d'autres
éléments, comme le fait de voyager ou de posséder
une maison à la campagne. On s'habille selon sa "personnalité".
Au travail cependant, la femme va peu à peu privilégier
des tailleurs classiques et foncés, symbole par excellence
de neutralité, de compétence et de sérieux.
Si elle se permet un peu de frivolité, c'est dans le choix
de la couleur de son chemisier ou du foulard, à l'instar
de ses collègues masculins qui personnalisent leurs tenues
par une cravate originale. Si cette tendance à l'uniformisation
a encore cours de nos jours, cela ne signifie pas pour autant
que les femmes ne sont pas influencées par la mode, explique
Françoise Dulac:
"Encore aujourd'hui, porter des vêtements à
la mode, c'est aussi se mouler symboliquement au corps idéal
des mannequins, c'est se donner l'illusion d'accéder à
la beauté, c'est une quête vers l'infini, vers le
bonheur. Les publicistes l'ont compris: ce n'est plus un produit
qu'on offre mais une image. On crée une histoire autour
du produit afin que les femmes s'y s'identifient et qu'elles
aient envie de vivre cette histoire. Être à la dernière
mode suppose avoir une certaine audace. Autrement dit, c'est
être prêt à vivre de nouvelles expériences."
S'il est difficile de savoir ce que la mode nous réserve,
la "mondialisation des apparences" laisse toutefois
présager un retour aux sources, estime Françoise
Dulac. "À travers les multiples looks dont
nous sommes bombardés, il souffle un vent de renouveau
vers le changement par soi et pour soi, comme si les gens- hommes
et femmes - voulaient retrouver une partie de cette identité
à laquelle ils tiennent tellement."
RENÉE LAROCHELLE
|