Méchant herbivore!
Le cerf de Virginie enfreint les lois de l'écologie
sur l'Île d'Anticosti
N'importe quel spécialiste en aménagement faunique
qui verrait les conditions qui prévalent sur l'Île
d'Anticosti conclurait qu'il est impossible d'y établir
une population de cerfs de Virginie. "Pourtant, avec des
populations qui atteignent 15 à 20 cerfs au kilomètre
carré, nous sommes bien forcés de conclure que
cette population se porte bien pour l'instant. Ceci démontre
à quel point cette espèce est une incroyable machine,
sans doute le plus adaptable des herbivores", laisse tomber,
avec une admiration à peine contenue, Steeve Côté,
cotitulaire de la Chaire industrielle de recherche CRSNG-Produits
forestiers Anticosti.
Les résultats des recherches sur la quête alimentaire
du cerf de Virginie, présentés le 19 avril dans
le cadre du 3e Colloque annuel de la Chaire, renforcent le jugement
que pose ce professeur du Département de biologie sur
ce superbe herbivore. Ainsi, le suivi télémétrique
de cerfs, placés dans de vastes enclos, a permis à
Marie-Lou Coulombe, Jean Huot et Steeve Côté de
démontrer que cette espèce adapte sa quête
alimentaire en fonction de sa propre densité. À
haute densité, les femelles se déplacent moins
et la zone d'utilisation intensive de leur domaine vital est
plus petite. "Nous croyons qu'elles limitent leurs déplacements
pour éviter les interactions sociales agressives avec
les autres femelles, avance Steeve Côté. Chez le
cerf de Virginie, les femelles font montre d'agressivité
allant jusqu'à s'affronter en ruant avec leurs pattes
avant."
De surprise en surprise
De son côté, l'étudiante-chercheure Ariane
Massé a découvert que les cerfs dont elle suivait
les déplacements à l'aide de colliers GPS fréquentaient
des habitats incongrus: des tourbières. Pareil comportement
est pratiquement inconnu sur le continent. Ses données
montrent également que les secteurs des tourbières
les plus fréquentés par le cerf abritent des plantes
forestières. Autre fait inédit, selon ses calculs,
la zone d'utilisation intensive du cerf atteint à peine
11 hectares, soit cinq fois moins que ce qui est rapporté
pour les populations continentales de cette espèce.
L'analyse des cerfs abattus par les chasseurs, effectuée
par Anouk Simard, a démontré que, entre 2002 et
2003, la différence dans le poids corporel atteignait
jusqu'à 7 kg et que l'épaisseur du gras sous cutané
passait du simple au double. "C'est un résultat assez
surprenant, avoue Steeve Côté, parce que la qualité
de l'habitat ne varie pas énormément d'une année
à l'autre. Nous croyons que la mortalité élevée
à l'hiver 2003 a réduit les densités de
cerfs et conséquemment la compétition pour la nourriture."
Si la population de cerfs se porte assez bien pour le moment
sur Anticosti, il pourrait en être autrement lorsque les
dernières grandes sapinières auront disparu de
l'île dans 50 ans. "Sur Anticosti, la survie hivernale
du cerf repose sur le sapin baumier et lorsque la nourriture
est rare, la mortalité peut frapper jusqu'à 40
% de la population", souligne Steeve Côté.
Advenant la disparition des sapinières, deux scénarios
se profilent. Le premier: le cerf connaîtra un crash démographique
spectaculaire. Le second: le cerf se rabattra sur l'épinette
blanche comme ressource alimentaire hivernale. "Selon toutes
les études disponibles, le cerf de Virginie ne mange pas
d'épinette blanche, constate le chercheur, mais il n'est
pas sensé manger de sapin non plus. Je crois que cette
espèce n'a pas fini de nous surprendre."
JEAN HAMANN
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