Un pays de bougons?
"La société québécoise est-elle
malade de ses "Bougon""? C'était la question
du dernier débat "Participe présent"
qui avait lieu au Musée de la civilisation le 5 avril.
D'emblée, Bernard Arcand, professeur d'anthropologie à
l'Université Laval, a répondu un "non"
catégorique. "Nous savons toujours nous scandaliser
et rire de nous, ce qui est très sain", a-t-il affirmé
en faisant allusion au tollé provoqué par le scandale
des commandites et à la très populaire émission
radio-canadienne. Invité de la journaliste Françoise
Guénette, le célèbre coauteur des Lieux
communs se trouvait en compagnie de Françoise David,
organisatrice communautaire et militante, François Avard,
scénariste et auteur des Bougon, et la fiscaliste
Brigitte Alepin pour se prononcer sur la corruption de la classe
dirigeante et la moralité publique au pays.
"L'hypocrisie, le mensonge et l'opportunisme nous arrivent
de très haut", déplore Françoise David
qui en décerne la palme au gouvernement étatsunien.
"À ce compte, ce n'est pas étonnant que les
agissements des politiciens déteignent sur certaines personnes
qui se replient sur elles-mêmes et décident que
la solidarité, ce n'est pas intéressant",
croit-elle. Ils trouvent alors refuge dans la consommation et
espèrent payer le moins d'impôt possible. À
ces maux, l'infatigable militante préconise un seul remède:
s'informer, trouver le courage de s'indigner et prendre part
à des marches pour plus de justice sociale. À François
Avard et Brigitte Alepin qui mettaient en doute l'utilité
des manifestations citoyennes, David a rappelé les gains
obtenus après la Marche du pain et des roses de 1995 ou
le recul du gouvernement concernant la construction de la centrale
thermique au gaz du Suroît après l'importante manifestation
à Montréal l'hiver dernier.
"La société est plus puissante que le seul
appareil d'État", a lancé Bernard Arcand à
un participant qui semblait dire que seul l'engagement au sein
des grands partis permettait d'exercer une influence sur la société.
"Nous sommes la réalité tandis que les politiciens
jouent un très grand spectacle, a-t-il fait valoir. D'ailleurs,
c'est une erreur de leur part que de s'intéresser au pouvoir.
Nous ne les élisons que pour leur prouver qu'ils ne sont
pas au-dessus de nous." Au pessimisme ou à la combativité
des autres intervenants, l'anthropologue a affiché la
tranquillité d'âme du sage. "Nous avons toujours
entretenu de la méfiance envers le pouvoir et la dualité
confiance/suspicion envers ceux qui nous gouvernent appartient
à toutes les sociétés."
Brigitte Alepin, auteure du tout récent essai Ces riches
qui ne paient pas d'impôts, prône quant à
elle une véritable réforme fiscale pour que les
riches puissent enfin payer leur juste part du fardeau fiscal
et alléger celui des autres. Les recherches qu'elle a
menées lui ont révélé que les Bronfman,
Desmarais, Martin et consorts versent en moyenne 1,9 % de leur
fortune en impôts alors que la fiscalité dépouille
la classe moyenne de 50 % de ses revenus. Selon la fiscaliste,
les puissants détournent en impôt une somme qui
équivaut à la moitié des 175 milliards qu'Ottawa
perçoit chaque année des contribuables. Une situation
tout à fait aberrante à laquelle le dernier budget
Séguin - qui l'a amèrement déçue
- est loin de remédier selon elle.
Tous les invités ont salué l'humour décapant
et la solidarité de clan de l'émission Les Bougon
qui, de l'aveu de François Avard, est née de son
ras-le-bol des personnages de téléroman vivant
dans la ouate et aux prises uniquement avec des problèmes
de couple. Pour sa part, Bernard Arcand trouve réjouissant
que la série permette de "découvrir que les
démunis font preuve d'une intelligence qui n'a rien à
envier à celle de nos politiciens". Des démunis
qui, d'ailleurs, géreraient sûrement mieux la société
d'État que nos dirigeants actuels!
ANNE-MARIE LAPOINTE
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