Menaces à la biodiversité
Protéger une espèce plutôt qu'un écosystème
se défend mal, autant du point de vue biologique qu'économique
«On ne connaîtra jamais la valeur économique
exacte de la biodiversité, mais il est indéniable
que cette valeur est grande. Après tout, la biodiversité
sert de support à la vie sur Terre et plusieurs biens
et services découlent de la nature: écotourisme,
purification de l'air, beauté des paysages, produits pharmaceutiques
dérivés de plantes, etc.», affirme Nancy
Bergeron, chargée de cours au Département d'économique
de l'Université Laval, professionnelle de recherche au
Centre de recherche en économie agroalimentaire et doctorante
en économie des ressources naturelles et de l'environnement
à l'Université du Maryland. «Certaines parties
de la biodiversité peuvent et pourront être chiffrées
afin de les comparer à la valeur de projets qui pourraient
exclure la conservation environnementale sur certains territoires.
Cela permettra de prendre des décisions plus éclairées
dans certains cas», a t-elle précisé lors
d'une conférence organisée le 15 avril par l'Institut
Hydro-Québec en environnement, developpement et société,
et le Centre de recherche en aménagement et développement
de l'Université Laval.
Selon Nancy Bergeron, la conservation de la biodiversité
se fait difficilement, ici comme ailleurs, parce qu'il s'agit
d'une problématique complexe. «Mais, dit-elle, la
situation n'est pas mauvaise en Amérique du Nord comparativement
à ce qui se fait ailleurs. Des efforts importants ont
été faits. Les lois sont imparfaites, la population
pourrait être mieux informée, mais le bilan est
tout de même positif car on y travaille.» Selon elle,
la situation dans l'hémisphère Sud est davantage
préoccupante. «Je ne suis pas pessimiste pour l'Amérique
du Nord, indique-t-elle, car beaucoup de gens apprécient
la nature et sont prêts à payer des impôts
pour en favoriser la conservation. Je suis cependant plus inquiète
pour les pays économiquement moins développés
où la conservation est loin des priorités de survie
pour une forte proportion de la population. Surtout que plusieurs
de ces pays possèdent les plus importantes réserves
mondiales de biodiversité.»
Un taux d'extinction à la hausse
Il y aurait 1,7 million d'espèces vivantes répertoriées
à travers le monde et les scientifiques évaluent
entre cinq et trente millions le nombre total d'espèces
vivantes sur Terre. Selon Nancy Bergeron, les environnementalistes
connaissent finalement très peu ce qu'ils veulent protéger.
Et ils trouvent préoccupante l'accélération
du taux d'extinction de base, soit la variation naturelle du
nombre d'espèces, en raison d'une activité humaine
croissante. «La cause première des pertes en biodiversité
à l'échelle mondiale, souligne-t-elle, est la destruction
d'habitats naturels par l'activité humaine. On pense qu'il
y aurait aujourd'hui environ 50 % moins de forêts qu'il
y a 8 000 ans. La deuxième cause en importance est l'exploitation
d'espèces pour leur valeur de marché.»
Aux États-Unis, l'aigle pygargue à tête blanche
a fait l'objet de mesures pragmatiques de conservation de la
biodiversité. En 1976, l'emblème américain
était une espèce déclarée en danger.
De 1989 à 1991, en raison de sa valeur symbolique, il
a bénéficié à lui seul d'une aide
financière énorme, soit 10 % de l'ensemble du budget
américain de conservation des quelque 550 espèces
listées sous l'Endangered Species Act de l'époque.
Finalement, en protégeant son habitat et en effectuant
des croisements contrôlés en captivité, l'aigle
à tête blanche a pu être sauvé. Mais
selon Nancy Bergeron, ces efforts de conservation ne sont pas
nécessairement un exemple à suivre en termes de
politique de conservation. «On n'a sauvé qu'une
espèce à très fort prix et, implicitement,
on a dû sacrifier plusieurs autres espèces, soutient-elle.
L'approche espèce par espèce est aujourd'hui très
critiquée, autant du point de vue biologique qu'économique.
On tend de plus en plus à favoriser la conservation d'écosystèmes
entiers où l'on retrouve plusieurs habitats.»
L'Endangered Species Act est une loi problématique, aux
dires de Nancy Bergeron. Elle vise la conservation de toutes
les espèces listées, mais les budgets et les expertises
pour agir sont limités. Des choix à caractère
économique sont donc faits même si la loi ne le
prévoit pas. Ainsi, les oiseaux et les mammifères
reçoivent les budgets les plus importants au détriment
des reptiles ou des insectes. «C'est peut-être une
bonne idée, ajoute la conférencière. Les
mammifères préférés étant
les plus gros, leurs habitats sont suffisamment grands pour contenir
d'autres habitats qui se trouveront par la même occasion
protégés.»
YVON LAROSE
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