Et le droit à l'information?
La soif de vérité du public contribuerait
à baliser le travail des correspondants de guerre
En temps de guerre, le journaliste qui assure la couverture
des événements fait face à plusieurs dilemmes.
Doit-il privilégier le cur ou la raison? Le patriotisme
ou le détachement? La propagande ou l'objectivité?
Réponse: le journaliste doit dire la vérité,
et ce, dans le meilleur intérêt du public qui a
droit à l'information la plus juste possible. Tel est
le message qu'a livré le journaliste britannique Roy Greenslade,
lors d'une conférence organisée récemment
par l'Institut québécois des hautes études
internationales, en collaboration avec le Département
d'information et de communication.
"Lorsque Jules César a envahi la Bretagne en 55 avant
notre ère, il n'y avait ni journaux, ni caméras,
ni correspondants de guerre, a expliqué Roy Greenslade.
Pourtant, César avait parfaitement compris l'importance
de vanter l'excellence et la bravoure de son armée auprès
des Romains à son retour. C'est ainsi qu'il a joué
le rôle du correspondant de guerre, en racontant à
sa façon l'histoire, nous léguant ainsi le seul
reportage sur ce qui est arrivé lors de ce moment crucial
de l'histoire européenne."
Si les soldats ont été les seules sources d'information
en temps de guerre durant plusieurs siècles, le "père"
du reportage de guerre est le journaliste britannique William
Russel (1820 1907). "Les articles qu'il a écrits
sur la guerre de Crimée pour le London Times, en
1854, préfigurent le conflit qui existera entre, d'un
côté, le gouvernement et la force militaire, et
de l'autre côté, les journalistes et les éditeurs",
de relater Roy Greenslade. Décrivant les conditions de
vie épouvantables des soldats anglais dans ce conflit
avec les Russes, William Russel a vu ses articles publiés,
même si les articles en question témoignaient de
l'incompétence administrative de l'armée et, par
ricochet, du gouvernement. Résultat: le journaliste fut
accusé de sensationnalisme et d'exagération, faisant
hurler la meute des politiciens britanniques qui essayèrent
de censurer les articles et de discréditer le London
Times. Mais l'opinion publique avait été alertée
et le London Times ressortit plus fort de la tempête.
La population créa même un fonds destiné
à l'achat et à l'envoi de médicaments pour
les soldats blessés.
Pour le tableau d'ensemble
"Certes, le style d'écriture de Russel était
peut-être émotif et il est apparu plus tard que
certains détails étaient faux, note Roy Greenslade.
Par contre, le tableau brossé était véridique.
L'incompétence des hauts militaires et des politiciens
a effectivement causé la perte de plus d'un tiers de l'armée.
"Au bout du compte, Russel a effectué un bon travail
journalistique, note le conférencier. Il faut noter que
les deux parties croyaient agir dans le meilleur intérêt
du public: si le gouvernement et les leaders militaires jugeaient
que la guerre servait les intérêts des citoyens
britanniques et voyait donc d'un mauvais il l'ingérence
de tout élément antipatriotique, les journalistes,
eux, croyaient que la population était en droit de savoir
ce qui était fait en son nom.
Durant la guerre du Golfe, en 1991, un sondage effectué
aux États-Unis a révélé que non seulement
près de 80 % des Américains appuyaient les restrictions
imposées aux journalistes par le Pentagone, mais aussi
qu'une majorité estimait qu'un plus grand contrôle
devrait être exercé sur la presse. "Cela donne
des frissons dans le dos, dit Roy Greenslade. Pour mener à
bien leur mission d'information, la seule justification des journalistes
est d'agir dans l'intérêt du public. Mais si le
public n'est pas intéressé, déniant ainsi
aux journalistes leur raison d'être, cela n'augure rien
de bon pour ceux qui choisiront de dire la vérité.
Mais cela nous force à faire face au problème le
plus inconfortable de tous: qu'est-ce que l'intérêt
public?
RENÉE LAROCHELLE
|