
Poutine l'équilibriste
Malgré toute l'adresse politique de son président,
la stabilité de la Russie demeure fragile
"La stabilité politique que Vladimir Poutine a mise
en place en Russie au début des années 2000 repose
sur des fondations fragiles", indique Allen Lynch, directeur
du Center for Russian and East European Studies et professeur
de relations internationales au Département de science
politique de l'Université de Virginie.
Selon lui, deux variables majeures, si elles devaient se produire
en même temps, pourraient avoir de graves conséquences
pour la société russe. Une des variables est la
baisse prononcée des prix mondiaux du pétrole.
"Depuis 1999, rappelle Allen Lynch, au moins la moitié
de la croissance économique de la Russie est venue de
l'augmentation de ces prix." Une autre variable est liée
à l'éventuelle succession politique au Kremlin.
"Le pouvoir exécutif n'a pas changé de mains
depuis la fin des années 1990, explique-t-il. Si cette
succession politique était mal gérée, et
que Poutine et les nationalistes pragmatistes relâchaient
leur emprise sur le Parlement, les groupes xénophobes
et ultra-nationalistes se trouveraient renforcés."
Spécialiste de l'ancienne Union soviétique et de
l'actuelle Russie, Allen Lynch a prononcé un discours,
le lundi 5 avril au pavillon Charles-De Koninck, sur l'émergence,
depuis 1991, de la Russie comme État international. Le
Cercle Europe l'avait invité en collaboration avec le
programme Paix et sécurité internationales de l'Institut
québécois des hautes études internationales
de l'Université Laval, et avec la collaboration des Départements
de science politique et d'histoire. Selon le conférencier,
l'État russe traverse une profonde crise d'identité
consécutive à la désintégration de
l'Union soviétique. Les deux causes de cette crise sont
l'introduction de la démocratie et l'implantation de l'économie
de marché. De plus, les sources du pouvoir étatique,
notamment économiques, juridiques et militaires, sont
en décomposition. "Quant à la politique étrangère,
dit-il, elle est amorphe, informe et incohérente alors
que la prise de décision est très influencée
par des groupes d'intérêt spécifiques."
Un pragmatiste actif
Vladimir Poutine apparaît comme un pragmatiste moderne
et réaliste. Il aimerait que son pays soit une grande
puissance. Mais la faiblesse de son économie contraint
la Russie à être au mieux une puissance régionale.
Une puissance, qui plus est, est travaillée de l'intérieur
par un fort sentiment anti-occidental. "Cela dit, comme
on l'a vu par sa réaction aux attaques terroristes du
11 septembre 2001, Poutine démontre beaucoup d'habileté
à tirer profit des opportunités que lui offre la
diplomatie pour maximiser les retombées politiques internationales
pour son pays, précise Allen Lynch. Après cet événement,
la politique étrangère russe, qui en était
une de pragmatisme passif, est devenue active."
Le meilleur exemple de ce changement de cap est sans doute la
précieuse collaboration offerte aux Américains
dans le dossier de l'invasion de l'Afghanistan. Faisant fi du
consensus auquel adhéraient les élites politiques
et militaires de son pays, Poutine est intervenu diplomatiquement
auprès de certains pays d'Asie centrale, autorisé
l'aviation américaine à survoler le territoire
russe et permis la livraison de grandes quantités d'armes
russes aux rebelles de l'Alliance du Nord. "Ce partenariat
avec les États-Unis, souligne Allen Lynch, a ensuite permis
à Poutine de faire en sorte que l'on parle beaucoup moins
du problème tchétchène dans les rencontres
internationales." Sur la question de l'invasion de l'Irak,
le président russe a bien pris soin de ne pas s'opposer
seul à l'initiative américaine et de ne pas s'y
opposer avec enthousiasme.
Le conférencier croit que Vladimir Poutine peut réussir
son numéro d'équilibrisme politique, numéro
dont un des objectifs consiste à tenter d'établir
la prééminence de la Russie sur le territoire de
l'ancienne Union soviétique. "Sur le plan politique,
Poutine continuera d'essayer d'éviter l'isolement de son
pays, prédit-il. Sur le plan économique, je m'attends
à le voir tenter d'intensifier les liens avec l'Europe
alors que la Russie se consolide rapidement comme une économie
dépendante de l'exportation de matières premières,
en particulier dans le secteur de l'énergie."
YVON LAROSE
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