Le 47e chromosome
Où nous conduira la société posthumaine
annoncée par le génie génétique?
En 1932, lorsque Aldous Huxley a écrit Le meilleur
des mondes (Brave New World), roman dans lequel il
dépeignait une société où les humains
étaient programmés pendant leur développement
embryonnaire in vitro en fonction des besoins d'un gouvernement
mondial totalitaire, il situait l'action six siècles dans
le futur. En 1946, conscient des progrès scientifiques
et des dérives idéologiques, l'écrivain
britannique corrigeait le tir dans la préface du même
roman en prédisant que ce scénario pourrait se
concrétiser en moins d'un siècle. S'il était
toujours vivant aujourd'hui, il constaterait, sans doute avec
horreur, que les outils du génie génétique
permettront bientôt de faire tout ce qu'il décrivait
dans son ouvrage, et même plus.
«Ce qui était encore de la science-fiction, il y
a trois ou quatre ans, est devenu réalité aujourd'hui»,
a déclaré le professeur Marc-André Sirard,
du Département des sciences animales, lors d'une allocution
présentée le 5 avril dans le cadre des Grandes
Conférences du Cégep Limoilou. Le chercheur est
bien placé pour mesurer les bonds prodigieux qu'a fait
le génie génétique au cours des dernières
années. Directeur du Centre de recherche en biologie de
la reproduction, il est cofondateur de la compagnie TGN Biotech
qui utilise des porcs transgéniques pour produire des
médicaments dans leur sperme.
«La science évolue très vite et les gens
ne semblent pas en être conscients», a-t-il lancé
à la centaine d'étudiants venus l'entendre. Le
plus spectaculaire outil qu'il a présenté à
son jeune auditoire est le 47e chromosome, un microchromosome
artificiel qui contient les gènes que les chercheurs veulent
bien y placer. Inséré dans le noyau d'une cellule,
ce chromosome s'intègre au reste du génome contenu
dans les 46 chromosomes naturels, et permet l'expression stable
et précise d'un nombre élevé de gènes
triés sur le volet.
Le posthumain
«La question qui se pose aussitôt est la suivante:
quels gènes doit contenir ce chromosome?», soulève
Marc-André Sirard. Évidemment, on y mettra des
gènes pour corriger des maladies génétiques
cruelles et mortelles. Mais puisque la technologie existe, pourquoi
se priver d'y insérer des gènes pour prévenir
des maladies comme le sida, la malaria, le cancer du sein, la
dépression ou la schizophrénie? Une fois en route,
qu'est-ce qui nous empêche d'y intégrer des gènes
qui toucheraient des particularités physiques comme la
taille et la couleur des cheveux, des yeux ou de la peau? «Où
doit-on s'arrêter dans l'amélioration de la qualité
de la vie?, demande le chercheur. Et qui doit décider?
Les parents? Les gouvernements? Quels modèles d'êtres
humains choisirons-nous d'être? Deviendrons-nous tous des
grands blonds costauds aux yeux bleus? Ce savoir fait peur.»
Chose certaine, rien ne sert de jouer à l'autruche. «Ces
technologies seront utilisées chez l'humain, affirme le
professeur Sirard. Lentement mais sûrement, parce que l'homme
a toujours cherché à améliorer son sort
et qu'il a toujours utilisé les outils à sa portée
pour y arriver. C'est dans sa nature.»
Avant de s'affranchir du hasard de la génétique,
le post-humain aura de nombreuses questions à résoudre.
"Que sera le meilleur humain pour lui-même? Pour son
voisin? Pour l'espèce? Pour la planète?, a-t-il
demandé à l'auditoire. Ce sera à vous et
à vos enfants d'en décider. Demain sera notre juge."
JEAN HAMANN
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