Jésus Christ Superstar
Le film de Mel Gibson viole-t-il les règles du jeu?
Le film La Passion du Christ de Mel Gibson est peut-être
violent, mais il ne l'est sûrement pas plus que Le Seigneur
des Anneaux qui a remporté cette année une
dizaine d'Oscars, estime Paul Warren, professeur de cinéma
retraité de la Faculté des lettres. En effet, le
film de Peter Jackson comporte des scènes de bataille
d'une brutalité inégalée au cinéma
américain, et personne n'y trouve rien à redire.
Alors, demande Paul Warren, pourquoi cette Passion est-elle mise
au pilori pour sa violence extrême et son côté
sanguinolent, alors que d'autres films hollywoodiens aussi durs
passent la rampe sans autre forme de procès? C'est simple,
pense le spécialiste: contrairement à d'autres
films, le public connaît la fin de l'histoire et sait très
bien qu'il n'y aura pas de happy end. En l'absence de
rebondissements et de suspense, le chemin est tracé d'avance,
malgré le destin exceptionnel du héros, en l'occurrence
Jésus, dont on sait qu'il ne se vengera pas de ses tortionnaires.
Et cela est proprement insoutenable pour la foule habituée
à ce que le héros règle ses comptes à
la fin du film et qu'il triomphe des "méchants".
"Quand le cinéma religieux provoque": tel était
le thème de la table ronde organisée le 17 mars
par le Centre de ressources et d'observation de l'innovation
religieuse de l'Université Laval. Invité à
participer cette rencontre, Louis Painchaud, professeur à
la Faculté de théologie et de sciences religieuses,
a dénoncé le caractère approximatif du film
de Gibson, d'un point de vue historique. "Les récits
de la Passion ont été rédigés entre
40 et 50 ans après les événements, a indiqué
ce spécialiste du christianisme ancien, ce qui implique
nécessairement une distance. À cette époque,
nous sommes déjà dans le monde de l'interprétation.
Or quelque 2 000 ans après, Gibson réinterprète
à son tour les faits de façon choquante, provocante
et déroutante. Il américanise la Passion du Christ."
Les démons du passé
Signalant que Gibson a mis en scène des moments de
la vie du Christ qu'on ne retrouve même pas dans les textes
bibliques, Alain Faucher, professeur à la Faculté
de théologie et de sciences religieuses et spécialiste
d'exégèse, note que le film présente tout
de même un côté positif, soit celui de nous
forcer à relire les textes bibliques pour en apprécier
la sobriété et la luminosité. Pour sa part,
Gérard Blais, du Centre Biblique Har'El de Québec,
répète que La Passion du Christ n'est pas
antisémite, comme beaucoup l'ont affirmé. "Chaque
film sur la vie de Jésus fait ressurgir les démons
du passé chez les Juifs, remarque ce spécialiste
des rapports entre le christianisme et le judaïsme. En fait,
Mel Gibson n'a rien dit de mal contre les Juifs, mais les Juifs
ont eu peur qu'on en dise."
Au-delà de toutes les divergences d'opinion qu'il suscite,
le film ne laisse personne indifférent. Aux yeux de Paul
Warren, que le film soit fidèle ou non aux dernières
heures de la vie du Christ est sans importance. "Nous avons
affaire à une grande tragédie chrétienne,
dit-il, au sacrifice dans toute son horreur, libéré
des oripeaux de la messe. C'est aussi une grande oeuvre avec
des techniques extrêmement travaillées. Mel Gibson
est un hollywoodien qui tente de christianiser le monde à
sa façon; il est évident qu'il s'est mis en prière
avant de faire le film."
RENÉE LAROCHELLE
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