Une violence sournoise
Le phénomène du harcèlement
psychologique au travail prend de l'ampleur, mais on peut le
contrer
À la suite d'un changement de direction, un directeur
des achats au service de la même organisation depuis 25
ans reçoit des évaluations de plus en plus négatives
suivies de lettres de menaces qui le font tomber en dépression.
Un homme assigné à l'entretien d'équipement
de production, à l'emploi de la même entreprise
depuis 23 ans, se fait faussement accuser de faire des erreurs.
Un dossier pour le congédier prend forme. Ces cas de harcèlement
psychologique au travail ont été évoqués
par Angelo Soares, professeur au Département d'organisation
et ressources humaines de l'Université du Québec
à Montréal, le jeudi 18 mars au Cercle du pavillon
Alphonse-Desjardins, dans le cadre du 23e Colloque des étudiants
en relations industrielles de l'Université Laval.
Selon le conférencier, le harcèlement psychologique
est une maladie organisationnelle rongeante et en progression
à cause d'une compétitivité énorme,
amenée par la libéralisation des économies,
et d'une très grande quête de l'efficacité.
"La répétition des propos ou agissements,
le fait que ce soit un processus qui dure dans le temps, et des
effets toujours négatifs, dévastateurs et destructeurs
caractérisent le harcèlement psychologique",
explique-t-il. Il ajoute que les sources du problème se
trouvent dans l'organisation du travail, dans le modèle
de gestion, dans le stress qui rend moins tolérant, dans
l'absence de la gestion de conflits et dans l'absence de leadership.
Une panoplie de comportements
En matière de harcèlement psychologique, les
agissements peuvent venir aussi bien d'un collègue ou
d'un subordonné, que d'un supérieur. Le harceleur
ou la harceleuse peut décider de ne plus parler à
la personne ou l'empêcher de s'exprimer. On peut ignorer
sa présence ou l'isoler de ses collègues en lui
attribuant un poste de travail éloigné. On peut
se moquer ou médire d'elle. On peut également lui
imposer un travail humiliant ou lui donner des échéanciers
impossibles. "La personne qui harcèle, précise
Angelo Soares, peut ne pas être consciente de ses agissements.
Et les victimes ne sont pas nécessairement des personnalités
faibles." Dans certains cas extrêmes, des victimes
se sont enlevé la vie à la veille de leur retour
au travail parce qu'elles avaient réalisé que les
conditions qui les avaient fait "craquer" étaient
restées les mêmes.
Les harceleurs sont-ils des pervers, des manipulateurs, des méchants
et des sans-cur? Angelo Soares dit ne pas avoir de réponse
précise à cette question puisqu'il n'existe pas
une seule étude sur eux dans la littérature scientifique.
"Pour une recherche, indique-t-il, il faut un échantillonnage.
Or, qui va volontairement accepter de répondre au questionnaire?"
Santé mentale, exclusion du marché du travail,
changement d'emploi et effets sur la famille sont les conséquences
individuelles possibles du harcèlement psychologique.
Au chapitre des conséquences organisationnelles, mentionnons
un absentéisme élevé, une diminution de
la performance, et des primes d'assurance élevées
parce que les personnes tombent malades. Sans oublier des frais
d'avocats très importants.
Selon Angelo Soares, il est possible de contrer le harcèlement
psychologique. Il faut d'abord prendre note de tous les agissements.
Ensuite, il faut conserver une attitude calme et polie. Et, bien
sûr, porter plainte. L'organisation doit aussi avoir une
politique interne "vivante" en la matière, comme
c'est le cas à la Société de transport de
Montréal. "La Société offre une formation
obligatoire pour tous ses gestionnaires, explique Angelo Soares.
On sent une volonté effective réelle pour contrer
le problème." Selon lui, la solution passe par une
combinaison de plusieurs mesures de prévention comme la
formation, l'information, les changements de l'organisation du
travail, et les changements de la culture organisationnelle.
Au Québec, la situation des dernières années
a amené le législateur à inclure des mesures
sur le harcèlement psychologique dans la loi modifiant
la Loi sur les normes du travail. Ces mesures entreront en vigueur
en juin 2004. À l'Université Laval, un nouveau
règlement, qui inclura toute forme de harcèlement
dont le harcèlement psychologique, est en préparation.
Il entrera, lui aussi, en vigueur en juin prochain. Rappelons
que le Conseil d'administration a adopté en novembre dernier
la Politique relative à la protection et à l'amélioration
de la santé psychologique au travail. On peut consulter
ce document à l'adresse suivante: www.vrrh.ulaval.ca/politic/politiquesantepsycho.pdf.
YVON LAROSE
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