Le fer ne fera pas baisser le mercure
Le projet d'enrichir les océans de fer pour contrer
le réchauffement climatique a du plomb dans l'aile
L'idée de régler le problème du réchauffement
climatique en fertilisant les océans avec du fer est séduisante,
mais elle présente de sérieuses lacunes. C'est
ce que démontre, dans l'édition du 18 mars de la
revue britannique Nature, une équipe internationale
de chercheurs, à laquelle est associé le professeur
Maurice Levasseur, du Département de biologie de l'Université
Laval.
Mis de l'avant par des firmes d'ingénierie, l'enrichissement
en fer des océans vise à débarrasser l'atmosphère
de son trop-plein de dioxyde de carbone en favorisant la croissance
des populations d'algues microscopiques qui fixent le carbone
dans leur biomasse. L'ajout de fer, un élément
dont la faible concentration constitue un frein démographique
important, favoriserait l'explosion des algues qui, une fois
leur courte vie terminée, iraient se sédimenter dans
les fonds marins, immobilisant ainsi des quantités astronomiques
de carbone pour des millénaires à venir.
Trente-sept chercheurs canadiens, américains, japonais
et néo-zélandais ont testé cette hypothétique
avenue en fertilisant avec du fer une superficie de 64 km carrés
au centre du golfe de l'Alaska. Comme prévu, les populations
d'algues ont grimpé en flèche dans les jours qui
ont suivi, mais à peine 8 % du carbone assimilé
par les algues a éventuellement pris la route des fonds
marins. Tout le reste du carbone est demeuré dans la couche
superficielle de l'océan ou est retourné dans l'atmosphère,
à la suite de la biodégradation des algues par
les prédateurs et les bactéries.
"Le taux de séquestration du carbone dans les fonds
marins est nettement plus faible que ce qui était attendu",
constate Maurice Levasseur, qui a participé à l'étude
alors qu'il était à l'Institut Maurice-Lamontagne
(Pêches et Océans Canada), avant de se joindre à
la Faculté des sciences et de génie. Il préside
le Réseau de recherche C-SOLAS (Canadian Surface Ocean
- Lower Atmosphere Study), financé par le CRSNG, la Fondation
canadienne pour l'étude du climat et de l'atmosphère,
Pêches et Océans Canada et d'Environnement Canada,
qui a mené l'étude dans le golfe de l'Alaska.
Pas encore le K.O.
L'autre problème soulevé par cette étude
est qu'un facteur limitant peut en cacher un autre. Ainsi, l'explosion
démographique des algues a cessé douze jours après
l'ajout de fer parce que l'abondance d'un autre élément
crucial, le silicate, a fait défaut. "Le fer est
un élément essentiel pour les algues, mais comme
les concentrations requises sont infimes, l'enrichissement des
océans en fer n'est pas impossible, commente Maurice Levasseur.
Par contre, pour maintenir l'effet du fer, il faudrait aussi
ajouter du silicate. En raison des quantités impliquées,
la chose est économiquement impensable."
Bien qu'elle porte un dur coup dur à l'idée de
fertiliser les océans avec du fer pour stabiliser la température
terrestre, l'étude publiée dans Nature ne
l'envoie pas au tapis. "Malheureusement, laisse tomber Maurice
Levasseur. Je ne suis pas favorable à cette solution parce
qu'on ne connaît pas toutes les conséquences d'une
pareille mesure sur les écosystèmes, ni sur le
climat". Le chercheur prépare d'ailleurs un autre
manuscrit, destiné celui-là aussi à Nature,
qui contiendra d'autres révélations surprenantes
touchant l'effet, sur le climat, de l'enrichissement en fer des
océans.
JEAN HAMANN
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