Une affaire de choix
Si les femmes ne font pas carrière en recherche,
c'est qu'elles sont moins nombreuses à vouloir consacrer
leur existence entière au travail
Qui des femmes ou de la science devra changer pour que la
représentation féminine augmente en recherche?
Voilà la question demeurée en suspens une fois
la poussière retombée sur le dernier Bar des sciences
qui avait pour thème "Les femmes vont-elles changer
la science?".
Les échanges à bâton rompu entre la soixantaine
de femmes et les quelques hommes qui s'étaient réunis
au Café Loft de Québec, le 3 mars, à l'invitation
du Cégep Limoilou, auront tout de même permis d'identifier
l'un des principaux écueils qui fait obstacle à
la présence féminine en recherche: les femmes sont
moins nombreuses à vouloir consacrer leur existence entière
au travail.
Le tuyau percé
Au premier cycle universitaire, les femmes sont maintenant
majoritaires dans les secteurs des sciences de la vie. Elles
sont cependant fortement minoritaires en génie mécanique
(15 %), génie électrique (14 %) et génie
informatique (14 %). Même si les inscriptions féminines
dans des disciplines comme le génie ou la physique ont
beaucoup augmenté depuis 15 ans, elles franchissent à
peine la barre du 20 % dans ces secteurs. "Malgré
toutes nos actions, on dirait qu'il y a une barrière plus
difficile à faire tomber pour ces disciplines", a
déclaré Claire Deschênes, professeure au
Département de génie mécanique et titulaire
de la Chaire CRSNG/Alcan pour les femmes en sciences et en génie
au Québec.
S'il y a, dans l'ensemble, parité au bac et à
la maîtrise, la situation se corse au doctorat et surtout
dans les postes de professeurs universitaires où elles
ne sont plus que 13 % en sciences naturelles et en génie,
dont à peine 5 % en génie et en physique. "La
situation est la même en France. C'est ce que nous appelons
l'effet "tuyau percé", a commenté Michèle
Baron, du ministère français de la Jeunesse, de
l'Éducation nationale et de la Recherche. Il y a attrition
progressive de la représentation féminine au fur
et à mesure qu'on avance dans les études."
L'effet de la maternité
Selon Nathalie Barrette, professeure au Département
de géographie, ce phénomène s'explique en
bonne partie par la maternité. "Les femmes doivent
faire un choix en cours de route, dit-elle. C'est très
difficile de finir un doctorat avec des enfants." Le défi
est encore plus grand en début de carrière, estime
Julie Turgeon, professeure au Département de biologie.
"En plus, les femmes doivent convaincre leur conjoint de
les suivre là où elles trouvent un emploi. En général,
les femmes suivent leur conjoint chercheur, mais l'inverse est
plus rare."
Une fois réglée la question des enfants et du conjoint,
reste à savoir si le travail plaît. "La compétition
permanente n'attire pas les femmes", observe Michelle Baron.
De plus, l'investissement en temps requis pour atteindre le niveau
de performance attendu d'un chercheur universitaire, notamment
pour l'obtention de subventions, laisse peu de place aux activités
familiales et sociales. "Si on ne consacre pas sa vie à
son travail, on n'est pas dans la course", a tranché
une participante.
"J'ai choisi d'avoir un petit labo, de consacrer du temps
à chacun de mes étudiants et de ne pas participer
à tous les programmes de subventions qui existent",
a déclaré Julie Turgeon en guise de piste de solution.
Même à ce régime, la professeure a dû
travailler du matin au soir, six jours par semaine, pendant les
deux premières années de son entrée en poste.
Doit-on s'étonner, dans ces conditions, que les femmes
ne se bousculent pas aux portes du temple de la recherche?
Ceux que le sujet intéresse peuvent en apprendre davantage
en consultant les derniers numéros des magazines Québec
Science et La Gazette des femmes qui y consacrent
un long dossier, accompagné de témoignages de 50
chercheures.
JEAN HAMANN
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