Le chat qui guérit
Une intervention psychologique offerte par clavardage
permet aux personnes handicapées de surmonter leur solitude
Anne était une personne sociable et chaleureuse qui
n'avait jamais eu de difficulté à se faire des
amis. Employée de bureau, elle appréciait les sorties
au restaurant, au cinéma et au théâtre, avec
des collègues et des amis. Un jour, le diagnostic médical
tombe sur les malaises qui l'incommodaient depuis quelque temps:
ataxie. Les mois passent, le mal s'aggrave et la voilà
confinée à une chaise roulante. Sa fatigue chronique
la contraint à laisser son emploi et, du coup, elle perd
une partie importante de ses contacts sociaux. Les sorties avec
les amis se font de plus en plus rares. Elle a l'impression de
ne plus compter pour eux. Elle se sent triste, inutile et seule.
Ce sont des personnes comme Anne qui pourraient profiter d'une
nouvelle intervention psychologique via Internet, perfectionnée
par Sandra Lynn Hopps et Michel Pépin de l'École
de psychologie de l'Université Laval. Mise à l'essai
chez un groupe de 20 personnes souffrant d'un handicap physique
apparent, cette approche qui repose sur le clavardage, permet
de réduire considérablement le sentiment de solitude.
Au terme de 12 séances de deux heures de chat,
étalées sur 16 semaines, les chercheurs ont noté,
chez 80 % des participants, une amélioration cliniquement
significative des indicateurs mesurant l'intensité du
sentiment de solitude et l'acceptation du handicap. De plus,
un suivi effectué quatre mois après la fin de l'intervention
psychologique a démontré que les gains attribuables
à la thérapie étaient maintenus. "L'intervention
par clavardage constitue donc un moyen efficace et viable pour
offrir ce type d'intervention", conclut Sandra Hopps, dans
la thèse de doctorat qu'elle a consacrée à
ce sujet.
Pas de papotage
Précisons que les sujets qui ont participé
à l'étude ne clavardaient pas sur la pluie, le
beau temps ou l'élimination du dernier star académicien.
"La thérapie doit être psychorééducatrice
et structurée pour éviter le chit chat (bavardage)",
insiste Sandra Hopps. Les interventions de la psychologue et
des deux ou trois sujets qui participaient à chaque séance
de clavardage portaient exclusivement sur le traitement de la
solitude et les efforts faits pas chacun pour atteindre les buts
qu'ils s'étaient fixés au début du traitement.
Avant la phase clavardage de la thérapie, la psychologue
avait pris soin de rencontrer chaque participant pour effectuer
une évaluation de son cas et pour discuter avec lui des
causes du sentiment de solitude. Elle a tenté de modifier
les perceptions erronées qu'ils entretenaient par rapport
à la solitude en plus de travailler à l'amélioration
de leurs habiletés à entrer en contact avec les
autres. "La solitude provient d'une différence entre
le niveau de relations interpersonnelles souhaité et celui
qui est vécu par la personne, explique Sandra Hopps. Comme
le handicap physique constitue une barrière comportementale,
il faut que ces personnes aient encore plus d'habiletés
pour entrer en relation avec les autres."
Tous égaux
L'anonymat du clavardage a plu à la majorité
des participants parce qu'il leur permettait d'exprimer plus
librement leurs émotions et leurs expériences.
De plus, ils ont apprécié le fait que cette formule
leur donnait le temps de rassembler leurs idées avant
de les exposer au groupe et qu'elle leur permettait de se sentir
"égaux" avec les autres. Malgré les avantages
que présente cette approche, Sandra Hopps croit qu'une
intervention en personne demeure préférable. "Lorsque
les patients se retrouvent face à un psychologue ou aux
autres membres du groupe, ils ont l'occasion de mettre en pratique
les habiletés relationnelles que le traitement vise à
leur inculquer. C'est plus près de la vraie vie."
Sandra Hopps reconnaît que la thérapie par clavardage
ne convient pas à tous. Pour pouvoir en profiter, il faut
d'abord savoir lire et écrire, être en mesure de
taper sur un clavier et avoir un minimum de connaissances informatiques.
"Malgré ces limitations, notre étude démontre
le potentiel de l'outil pour dispenser certaines thérapies
à des gens qui souffrent de solitude. Je crois aussi qu'elle
pourrait être utile pour offrir d'autres types de traitements
à des personnes vivant dans des régions éloignées
mal desservies par les psychologues."
JEAN HAMANN
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