
Les icônes d'Eugenia Gortchakova
Pour sa première exposition au Canada, Eugenia Gortchakova
a choisi d'accrocher ses toiles peintes avec beaucoup de minutie
à la Galerie des arts visuels de l'Université Laval,
une exposition qui se poursuit jusqu'au 14 mars. Depuis plusieurs
années, cette artiste d'origine russe, désormais
citoyenne allemande, se promène à travers le monde
avec ses tableaux. Qu'elle expose à la Biennale de Venise,
à la Triennale des arts au Caire ou à Cracovie,
elle cherche à savoir quelles réactions suscitent
ses oeuvres auprès de publics variés. Il faut dire
que sa peinture aborde des thèmes on ne peut plus universels:
la vie, la mort, le temps qui passe.
Petite fille, Eugenia Gortchakova éprouvait une grande
angoisse: celle de perdre son temps. Littérature, musique,
sciences, elle a tout essayé pour tenter de s'apaiser.
Cependant, ce n'est qu'en se saisissant d'un pinceau qu'elle
a commencé à se calmer. "Pour moi, la pratique
de la peinture ressemble à un exercice de méditation,
explique l'artiste. Chaque jour, je m'installe devant un de mes
tableaux et je trace des lignes qui marquent l'écoulement
du temps. Cette méthode me permet de me nettoyer la tête
et de m'ouvrir au monde."
Ses toiles se composent donc de milliers et de milliers de minuscules
lignes de couleurs différentes qui peu à peu donnent
naissance à une forme circulaire ou, au contraire, très
plane. Cette opposition marque sa conception du temps, à
la fois semblable pour les grandes étapes de la vie, de
la journée ou les changements de saison, et si distincte
pour chacun. Les cercles aux effets presque hypnotiques esquissent
les passages de l'enfance à l'adolescence, de la vie adulte
à la mort, tandis que, dessous, les lignes transversales
symbolisent les expériences singulières des individus.
Des personnages célèbres comme Marilyn Monroe,
Mohamed Ali et Léon Tolstoï, que l'on pourrait comparer
à des icônes tant ils font partie de notre imaginaire
commun, se promènent d'ailleurs sur les toiles.
Rapprocher l'impensable
"J'avais envie de peindre Marilyn Monroe, car on la
considère comme une blonde superficielle, très
kitsch, explique l'artiste. Pourtant, j'ai découvert qu'elle
écrivait de très belles poésies et que,
finalement, sa vraie personnalité n'avait rien à
voir avec son image." Grâce à ses toiles, l'artiste
opère des rapprochements inusités entre des univers
à priori très éloignés. C'est ainsi
que l'écrivain russe Dostoïevski partage un bout
de tableau avec le sexe-symbole américain et que des artistes
qui inspirent Eugenia Gortchakova, qu'il s'agisse du peintre
français Marcel Duchamp, d'Andy Warhol ou de Chagall,
traversent ses créations. De temps en temps, des mots,
des phrases, en anglais, en français et en allemand, apparaissent
devant l'image peinte pour compléter le message. L'artiste
poursuit un but unique en reproduisant des personnages célèbres
et en utilisant des mots: illustrer les paroles du poète
russe qui écrivait que nous ne comprenons pas les autres,
nous les rencontrons.
La Galerie des arts visuels est située au 255, boulevard
Charest Est.
PASCALE GUÉRICOLAS
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