La maladie qui rend malade
Des obèses morbides reprennent espoir
grâce à une intervention chirurgicale perfectionnée
par une équipe de la Faculté de médecine
Le tunnel de souffrances que n'en finissent plus de traverser
les obèses morbides a peut-être une sortie qui conduit
à l'Hôpital Laval. C'est ce que portent à
croire les résultats très encourageants du suivi
de 1 400 personnes qui y ont subi, depuis 1990, une intervention
nommée "chirurgie bariatrique", perfectionnée
par une équipe de la Faculté de médecine,
associée au Centre de recherche Hôpital Laval. Lors
d'un mini-symposium présenté le 13 février,
les chirurgiens et chercheurs Simon Biron, Frédéric-Simon
Hould, Stéfane Lebel, Picard Marceau et Simon Marceau
ont démontré que, cinq ans après une chirurgie
bariatrique, plus de 90 % de leurs patients avaient retrouvé
un poids qui les excluait de la dangereuse catégorie des
obèses morbides.
La chirurgie bariatrique, mise au point par Picard Marceau à
partir d'une technique développée par le chirurgien
italien Scopinaro en 1979, attaque l'obésité morbide
sur deux fronts. D'une part, l'ablation d'une partie de l'estomac
réduit de 40 % la quantité d'aliments qu'il est
possible de consommer. D'autre part, la dérivation des
enzymes digestives produites par le foie et le pancréas
réduit l'assimilation de la nourriture. Comme les aliments
et les enzymes digestives entrent en contact plus loin dans l'intestin,
à peine 30 % des calories contenues dans les aliments
ingérés sont assimilées par l'organisme.
Résultat de cette double stratégie: les patients
absorbent environ deux fois moins de calories après leur
opération tout en mangeant "à leur faim".
En hausse rapide
Un suivi sur huit ans révèle que les patients
perdent en moyenne 35 % de leur poids initial - qui était
de 135 kg - dans les deux premières années qui
suivent l'intervention. Leur indice de masse corporelle (IMC,
calculé par le poids en kilos divisé par la taille
en mètre au carré) chute de 48 à 28. À
titre indicatif, l'IMC d'une personne normale se situe entre
20 et 25. "Les patients ont tendance à regagner une
partie de leur poids à mesure que le temps passe, constate
Simon Biron. Toutefois, cinq ans après l'intervention,
93 % des personnes opérées ne font plus partie
de la catégorie des obèses morbides (IMC plus grand
que 40) et tous leurs indicateurs de santé s'en trouvent
améliorés." Le taux de succès des régimes
amaigrissants est de 0 % pour cette catégorie d'obèses,
signalent les chercheurs au passage.
L'obésité morbide entraîne plus de 90 maladies
dans son sillage. "C'est une maladie qui rend malade",
caricature Sylvain Marceau. Source de bien des maux, l'obésité
morbide, tout comme l'obésité courante, coûte
cher au système de santé et une hausse est à
prévoir. En 1990, l'obésité morbide affectait
0,8 % de la population américaine. Aujourd'hui, la prévalence
du problème a triplé et la maladie frappe de plus
en plus de jeunes, ajoute le chirurgien. "La prévention
de l'obésité est importante, mais notre clientèle
a dépassé depuis longtemps l'étape où
la prévention pouvait lui être utile", ajoute-t-il.
Dernier espoir
Reste la chirurgie pour laquelle des fonds limités
sont alloués chaque année. "Cette maladie
est vue comme un choix de vie ou comme le résultat d'un
excès d'abondance, constate l'équipe de chercheurs.
Certains considèrent même les obèses morbides
comme des paresseux ou des gourmands, ce qui est tout à
fait faux." Présentement, la liste de personnes qui
doivent subir une chirurgie bariatrique à l'Hôpital
Laval compte 1000 noms et l'attente varie de trois à quatre
ans.
Considérant les résultats plus qu'encourageants
obtenus jusqu'à présent, l'équipe de chirurgiens
s'explique mal la situation. "Ces personnes veulent seulement
être normales et tous les efforts qu'elles ont faits -
et elles en ont faits beaucoup - pour y arriver ont été
vains, constate Frédéric-Simon Hould. Ce n'est
pas une question de manque de volonté, ni de choix de
vie. Lorsqu'elles viennent nous voir, elles sont marginalisées
socialement et elles ont de la difficulté à vivre.
En absence de traitement pharmaceutique, la chirurgie représente
souvent leur dernier espoir."
JEAN HAMANN
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