Formation
Des têtes bien faites
La philosophie est un apport formidable à
l'exercice de plusieurs professions
"La philo, à quel métier ça va
te mener?" La plupart des étudiants qui choisissent
cette discipline ou envisagent de le faire ont certainement déjà
entendu cette question. Victor Thibaudeau, professeur à
la Faculté de philosophie de l'Université Laval,
a donc décidé de réunir une dizaine de diplômés
vendredi dernier pour y répondre enfin, et prouver à
tous et chacun que cet enseignement peut ouvrir la porte à
bien des carrières différentes de celles de l'enseignement.
Un avocat, une recherchiste pour une émission de radio,
un directeur de collège, un infirmier de rue et bien d'autres
ont donc témoigné à la tribune de l'indispensable
apport de la philosophie à l'exercice de leur profession
actuelle.
Hélène Barbeau, recherchiste à la chaîne
culturelle de Radio-Canada, se définit comme "dangereusement
passionnée de philosophie". L'avocat Jean-François
De Rico reconnaît qu'il avait surtout envie de poursuivre
des études en s'engageant en philosophie. Le directeur
de collège Marcel Côté se sentait prêt
"à livrer de la pizza plus tard" en autant qu'il
puisse avant aller au bout de son rêve en étudiant
les grands philosophes. Qu'ils apparaissent comme des philosophes
dilettantes, philosophes socialement engagés, ou épris
des penseurs, ces diplômés partagent aujourd'hui
quelques caractéristiques communes. Tous reconnaissent
que leur passage à la Faculté de philosophie leur
a appris la rigueur, la méthode, a développé
leur habileté de synthèse et d'analyse, mais par-dessus
tout leur a permis de communiquer leurs idées.
Plongée dans le monde des communications depuis l'obtension
de sa maîtrise en philosophie en 1992, Hélène
Barbeau a pu constater l'efficacité de sa capacité
à comprendre des idées complexes, développée
alors qu'elle vivait presque en recluse entourée de ses
livres dans un petit bureau de la Faculté de philosophie.
"Cela m'a donné du front tout autour de la tête,
raconte la recherchiste. J'ai travaillé comme productrice
d'émission dans des équipes où bien souvent
j'étais la plus jeune et où je devais convaincre
les dirigeants de l'importance des projets que nous présentions."
De son côté, Jean-François Rico reconnaît
que la philosophie l'aide dans sa carrière de juriste
lorsqu'il s'agit de faire valoir la position d'une des parties,
et surtout de l'expliquer aux autres, malgré la complexité
des situations. Selon lui, l'étude des grands textes des
philosophes et la pratique des rédactions délient
la langue et l'esprit et facilitent l'expression de la pensée.
Libre et sans complexe
Cependant, les avantages de l'apprentissage en philosophie
ne se limitent pas à la salle de cours, à en croire
plusieurs diplômés. Bruno Marchand, aujourd'hui
conseiller à la vie étudiante au Cégep de
Sainte-Foy, a profité de son passage au baccalauréat
pour développer des solidarités et rencontrer les
autres, qu'il s'agisse des étudiants ou de ses professeurs.
Alliant plus tard philosophie et travail social, il a milité
dans des groupes de défense des droits sociaux et affiché
sans complexe sa singularité. "On est déjà
marginalisé quand on s'inscrit en philo, explique-t-il.
Du coup, on se sent plus libre par rapport aux autres."
Marcel Côté saisit l'idée au bond. "La
philosophie nous donne une grande liberté qui permet d'avoir
du recul face à des enjeux complexes. Vous savez ce n'est
pas pour rien que tant de directeurs de collèges sont
formés dans cette discipline plutôt qu'en administration."
Dans bien des cas, la philosophie permet d'accéder ensuite
à d'autres formations. Une enquête récente
du ministère de l'Éducation auprès d'une
quarantaine de diplômés de la Faculté de
philosophie de l'année 1999 constate ainsi que plus de
la moitié des détenteurs d'un baccalauréat
continuent leurs études à l'Université,
contre 70 % pour ceux qui possèdent une maîtrise
dans cette discipline. Même s'il n'étudie plus aujourd'hui,
François Bibeau, conseiller pédagogique au Cégep
de Limoilou, remarque de son côté que sa fréquentation
des grands penseurs lui a procuré une grande ouverture
d'esprit. "J'ai souvent constaté qu'à la trentaine
les gens se refermaient autour de leurs idées, alors qu'il
me suffit d'ouvrir un livre de philosophe pour retrouver ma liberté
de penser."
PASCALE GUÉRICOLAS
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