Un campus à repenser
Pierre Larochelle, professeur à l'École
d'architecture, juge sévèrement le développement
autarcique de la Cité universitaire
Le conférencier, Pierre Larochelle, qui s'exprimait
mardi soir à l'invitation de la Commission d'aménagement
de l'Université Laval, ne mâche pas ses mots lorsqu'il
s'agit d'évoquer le développement du campus. Énumérant
toutes les erreurs commises depuis le premier plan directeur
en 1952, l'architecte a sévèrement critiqué
les décisions d'aménagement prises par les directions
successives de l'Université Laval qui n'auraient jamais
cherché à intégrer le campus au reste de
l'agglomération.
Pour mieux comprendre le présent, Pierre Larochelle a
ressorti le plan directeur de l'architecte Édouard Fiset
de 1952 donnant les indications pour la construction de la Cité
universitaire encore en devenir. "À cette époque,
la direction catholique de l'Université jugeait la ville
comme un lieu de vie malsain, un lieu de perdition, il fallait
donc lui tourner le dos", explique-t-il. La direction prévoit
donc construire une cité religieuse, là où
se trouve aujourd'hui le pavillon Louis-Jacques-Casault, entourée
de verdure pour faire écran au reste des pavillons. Les
hangars, la chaufferie se retrouvent aussi dans ce secteur comme
en arrière cour, et ils constituent aujourd'hui la première
vision de l'automobiliste pénétrant aujourd'hui
sur le campus par le boulevard René-Lévesque.
Un axe détourné de son sens
Toujours selon le plan directeur, les pavillons bordaient
un espace vert central dans la tradition des campus à
l'américaine. Sur papier, les bâtiments se retrouvent
groupés le long d'un axe nord-sud s'ouvrant d'un côté
sur la perspective des Laurentides, et de l'autre sur une place
publique. Cet axe existe encore aujourd'hui, à la différence
près que sa vocation a changé du tout au tout.
"Dès le plan directeur de 1971, les qualités
essentielles de ce type de campus ont disparu car le plan a été
dénaturé, dénonce Pierre Larochelle. Les
pavillons, au lieu de s'ouvrir sur un espace commun lui tournent
le dos." En effet, la bibliothèque générale,
le pavillon Alexandre-Vachon, le pavillon Adrien-Pouliot n'ont
pas leur façade sur le Grand axe, davantage diviseur que
rassembleur au fil du temps puisque très peu de piétons
l'empruntent, été comme hiver.
Autre problème majeur, selon Pierre Larochelle: la taille
démesurée du campus. "Dans les années
cinquante, on pensait que Québec aurait un million d'habitants
en 1990, raconte-t-il. La Cité universitaire, hors d'échelle,
a été pensée sur cette erreur démographique."
À l'entendre, la distance entre les pavillons sur le campus
décourage la marche à pied, puisque qu'il faut
parfois parcourir un kilomètre pour rallier deux bâtiments
alors qu'un piéton peut accéder aux services essentiels
dans un rayon de 400 mètres dans un centre ville. Selon
lui, la Cité universitaire a tout fait par ailleurs pour
se couper des quartiers avoisinants qui se sont développés
depuis quelques décennies. Il cite ainsi la fermeture
de rues vers l'autoroute Du Vallon, la construction d'une entrée
sur le boulevard Laurier qui bloque la perspective sur le campus,
ou le fait que les équipements publics comme la Bibliothèque
ou la salle de concert Henri-Gagnon soient si mal identifiés
et si peu accessibles.
Un rapport oublié
À en croire le conférencier, l'Université
Laval s'est comportée davantage en propriétaire
spéculateur conservant jalousement ses terrains qu'en
organisation consciente de sa place centrale au sein de l'agglomération
de Québec. Il préconise donc un changement d'attitude
radicale pour s'intégrer et se fusionner à la nouvelle
ville. Et le professeur de ressortir le projet de requalification
et de développement de la cité universitaire sur
lequel il avait planché plusieurs mois en 1999 en compagnie
de huit étudiants au sein du Laboratoire de maîtrise
en design urbain de l'École d'architecture. Même
s'il a pris soin d'envoyer ce volumineux rapport à de
nombreuses instances de l'Université, Pierre Larochelle
n'en a jamais plus eu de nouvelles, hormis un courrier du recteur
Michel Pigeon exprimant son intérêt pour le document
et son désir de constituer une Commission d'aménagement
du campus -ce qui a été fait en avril 2002.
Dans ce rapport, le professeur et ses étudiants suggéraient
de resserrer le campus autour de son centre et de vendre des
terrains en périphérie, en particulier à
proximité de la rue Myrand, en arrière du pavillon
Louis-Jacques Casault. "80 000 personnes travaillent aujourd'hui
à Sainte-Foy, et ont parfois besoin d'habiter dans un
appartement plutôt que dans un bungalow ou un cottage,
explique-t-il. Les retraités vont aussi bientôt
rechercher des condos, tout en restant dans leur quartier."
Pierre Larochelle et son équipe préconisaient aussi
de céder des terrains en bordure de l'autoroute Du Vallon
pour permettre la construction de centre de recherches privés
travaillant en synergie avec l'Université, ainsi que ceux
bordant le chemin Sainte-Foy pour bâtir des immeubles résidentiels.
Quel accueil les responsables de l'actuelle Commission d'aménagement
vont réserver à ces diverses propositions restées
lettres mortes jusqu'à présent? L'avenir le dira.
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